La santé bucco-dentaire agit sur la santé générale, et inver­sement : oui au remboursement des soins dentaires

La cavité buccale fait partie inté­grante de notre corps et les patho­logies bucco-­dentaires ont un impact sur notre santé générale. Elles augmentent le risque de maladies cardio­vasculaires, de désé­quilibre d’un diabète ou d’accouche­ments prématurés.
Le diabète, certains traitements pour l’hyper­tension et la dépression, ou encore les chimio­thérapies augmentent le risque de problèmes bucco-dentaires et ce malgré une bonne hygiène buccale.
Un examen bucco-dentaire de routine peut contri­buer au diagnos­tic précoce de maladies générales touchant essentiel­lement le tube digestif.

L’initiative « Pour le remboursement des soins dentaires » a été lancée en 2014 par une large coalition de partis politiques (le POP, solidaritéS, le Parti socialiste, les Verts) de syndicats (UNIA, SSP, SUD) et d’associations (l’AVIVO, le Mouvement populaire des familles ). En seulement quatre mois, ces forces ont récolté plus de 15 000 signatures, au lieu des 12 000 nécessaires.

Le Conseil d’Etat avait décidé d’y opposer un contre-projet, mais ce dernier a été rejeté par le Grand Conseil. Face au refus du parlement d’envisager toute amélioration en matière de santé bucco-dentaire, le Conseil d’État a décidé d’apporter son soutien à l’initiative. De nouvelles associations ont également annoncé leur soutien à l’initiative, comme le Centre social protestant Vaud (CSP), le Groupe d’Accueil et d’Action Psychiatrique (GRAAP). Enfin, le groupe « PDC – Vaud Libre » au Grand Conseil a également décidé de soutenir l’initiative.

L’initiative demande d’introduire un nouvel article dans la Constitution vaudoise, le 65b, intitulé « soins dentaires », dont la teneur est la suivante :

➊ L’Etat met en place une assurance obligatoire pour les soins dentaires de base ainsi qu’un dispositif de prévention en matière de santé bucco-dentaire.

➋ Il met en place un réseau de policliniques dentaires régionales.

➌ Le financement de l’assurance des soins dentaires de base est assuré, pour les personnes cotisant à l’assurance vieillesse et survivants (AVS), par un prélèvement analogue à celui de l’AVS et, pour les autres, par la politique sanitaire cantonale.

L’alinéa ➊ de cet article demande la création d’une assurance publique cantonale qui couvre les soins dentaires de base n’entrant pas dans le catalogue de prestations de la LAMal pour les Vaudoises et Vaudois. Cette assurance permettra un accès plus large et plus équitable de la population aux soins dentaires, grands oubliés des assurances maladie.

De plus en plus de Suisses et Suissesses renoncent à des soins dentaires en raison de leur coût, signe que le modèle suisse de prospérité économique vacille.

Selon l’OFS, 7,4 % des Romand·e·s, par rapport à 4,6 % des Suisses et Suissesses, renoncent à consulter un·e dentiste pour des raisons financières. Et 10 % des personnes avec un revenu inférieur à 35 000 francs par an renoncent à consulter un·e dentiste, consultent à l’étranger, ou se rendent au « Point d’eau », où 25 % des personnes qui consultent pour des problèmes dentaires sont suisses. En comparaison, seules 0,6 % des personnes avec un revenu supérieur à 74 000 francs par an renoncent à consulter un·e dentiste.

La création d’une assurance publique cantonale pour la santé dentaire renforcera les mesures de prévention actuelles, indispensables à une bonne santé bucco-dentaire. Des contrôles annuels et une véritable éducation à l’hygiène buccale et alimentaire sont nécessaires pour réduire risques et interventions. Les mesures de prophylaxie individuelle enseignées dans le cadre du service de santé scolaire permettent de poser des bases. Mais une partie de ces mesures ne sont plus adaptées à l’âge adulte où, par exemple, la technique de brossage doit être réévaluée.

Le réseau de policliniques dentaires régionales prévu par l’alinéa ➋ permettra de mener concrètement cette politique de prévention et de soins visant à améliorer la santé bucco-dentaire des Vaudoises et des Vaudois dans l’ensemble des régions de notre canton. Elle donnera également accès à des soins de qualité à la population qui en est aujourd’hui exclue.

Certains soins et compétences ne sont actuellement disponibles qu’à la PMU de Lausanne, ce qui complique l’accès aux Vaudois·e·s domiciliés dans les zones périphériques.

A l’instar de la PMU, les policliniques assureront au niveau régional le suivi de patient·e·s dont la prise en charge au fauteuil traditionnel est compliquée ou chronophage (par exemple en cas de troubles psychiatriques importants, de polymédication, etc).

Enfin, l’alinéa ➌ règle la question du financement de cette nouvelle assurance. Pour les personnes cotisant à l’AVS, le financement se fera sur le modèle de prélèvements salariaux. Pour les autres, il dépendra de la part du budget cantonal dévolue à la santé. Les prélèvements proportionnels au salaire ont le mérite de garantir le principe de solidarité entre les classes d’âge et de revenu.

Une fois acceptés, ces principes constitutionnels seront traduits dans une loi d’application.

La carie dentaire est une affection fréquente déjà répandue au Néolithique. Décrite dans l’Antiquité, elle devient un fléau au 15e siècle, notamment à cause de la consommation croissante de sucre en Europe. En 2012, l’OMS mentionnait que la carie restait la maladie infectieuse la plus fréquente au monde et un problème majeur de santé dans la plupart des pays industrialisés, affectant 60 à 90 % des enfants en âge scolaire et la vaste majorité des adultes.

Les premières statistiques datent du début du 20e siècle. En Suisse, elles commencent dans les années 1960 dans le canton de Zürich avec des élèves de l’école primaire : à l’âge de ١٢ ans, près de la moitié de leurs dents étaient cariées. La prise de conscience du problème a conduit à mettre en place des mesures de prévention collectives, comme la fluoration des eaux potables ou du sel de boulangerie selon les régions, la distribution de comprimés de fluor dans les écoles et la mise sur le marché de dentifrices au fluor. Des services dentaires scolaires ont également été développés. Le taux de caries a rapidement diminué d’environ 80 %. En termes de prévalence, 38 % des élèves de 12 ans avaient des caries en 1995, contre 99 % en 1964. Ces résultats doivent toutefois être nuancés au regard de la réalité des terrains qui n’ont pas bénéficié de mesures de prévention aussi importantes : Zürich a enregistré d’excellents résultats, ce qui n’est pas le cas du reste de la Suisse et d’autres pays européens, où les moyens de prévention ont été plus limités. A Genève, par exemple, 68 % des élèves de 11 ans avaient une carie en 1995 contre 83 % en 1977, des résultats nettement moins favorables qu’à Zürich.

Mais le taux de caries augmente à nouveau depuis 1995, principalement chez les jeunes enfants. A Genève, l’augmentation de la carie chez les petits est de l’ordre de 4 % par an depuis 2000. Plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer cette recrudescence.

  • La migration ajoute aux statistiques des enfants avec de nombreuses caries.
  • Les professionnel·le·s, les pouvoirs publics et les parents perdent leur motivation face à un problème perçu à tort comme résolu. Les études susmentionnées en sont probablement la cause, faisant penser que la carie était en voie d’éradication. Plusieurs services dentaires scolaires ont par exemple été réduits sinon supprimés.
  • Les comportements alimentaires évoluent, avec une consommation plus fréquente de produits sucrés.
  • Mais surtout les conditions de vie d’une part croissante de la population se sont dégradées. Les études épidémiologiques confirment l’influence déterminante de la condition sociale et économique dans le risque de développer des caries. Dans les pays industrialisés, 80 % des caries chez les enfants sont concentrées dans le 20 ou 30 % de la population pauvre ou juste au-dessus du seuil de pauvreté.

La santé bucco-dentaire des classes socio-­économiquement faibles est plus mauvaise à tous les âges que celle des classes moyenne et aisée 1. Les caries comme les maladies parodontales varient selon la condition sociale. Ces maladies sont certes liées à l’hygiène buccale, mais elles le sont aussi à l’hygiène de vie au sens large (qualité de l’alimentation, défenses immunitaires). La perte de dents chez l’adulte est conditionnée par le statut socio-­économique et le remplacement des dents manquantes obéit également à un gradient social : plus le niveau de revenu est élevé, plus le statut prothétique est satisfaisant. Les difficultés économiques conditionnent le renouvellement ou la réadaptation des prothèses existantes, d’où le maintien d’appareils dentaires inadaptés ou obsolètes. Cela a naturellement des conséquences sur la nutrition : on observe un déficit de fibres dans l’alimentation de sujets appareillés ainsi qu’une plus faible consommation de certains aliments difficiles à mâcher. La médecine dentaire finit ainsi par rejoindre la médecine, l’édentement conduisant à une altération de l’état général.

L’orthodontie, même lorsqu’elle ne remplit pas les critères fixés par l’AI, est souvent indispensable pour une bonne occlusion dentaire, une mastication efficace permettant d’éviter des surcharges de force sur certaines dents qui nécessiteront plus tard des traitements.

Un examen de prévention avec un détartrage régulier, le traitement des caries ou le remplacement de dents dévitalisées ou cassées n’est pas une question d’esthétique. Toutes nos dents, hormis les dents de sagesse, sont utiles à une mastication régulière et symétrique. Quant aux dents de sagesse, avec l’évolution de notre espèce, elles n’ont plus d’utilité et doivent souvent être extraites. Le coût de cette extraction peut atteindre 1300 francs et n’est pas couvert par l’assurance maladie.

Bien que la prévention bucco-dentaire soit supposée toucher toute la population, des inégalités majeures persistent. Le dépistage dentaire n’a que peu d’impact sur la consultation dentaire et le soin régulier des dents, en raison des coûts que génèrent toutes ces consultations. Un dépistage démontre un besoin, mais n’en garantit pas la prise en charge. L’absence d’assurance dentaire est partiellement responsable de l’aggravation du statut dentaire des personnes proches du seuil de pauvreté. Une assurance dentaire les incitera à effectuer un contrôle annuel et à recourir plus précocement aux services dentaires. Et elle facilitera l’accès aux soins pour les personnes âgées, davantage exposées à des frais résultant de problèmes dentaires. Il en va de même pour les personnes au revenu modeste mais ne pouvant tout juste pas bénéficier du remboursement des frais de santé prévu dans le cadre des prestations complémentaires AVS/AI On assiste ainsi à un véritable « effet de seuil ».

Améliorer la prévention et par conséquent la santé bucco-dentaire aura des effets bénéfiques sur la santé en général. Il existe un lien clair entre la maladie gingivale et l’athérosclérose, et donc les maladies cardiovasculaires. Les bactéries parodontales sont en effet capables de traverser les parois vasculaires où elles induisent la sécrétion de certains médiateurs de l’inflammation connus pour être des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires. Leur présence dans le sang augmente en cas d’inflammation parodontale chronique, participant ainsi au développement de l’athérosclérose. Lors de maladies gingivales, le passage des bactéries buccales dans les vaisseaux se produit lors de gestes médicaux mineurs ou dans la vie courante, comme lors du brossage des dents ou de la mastication.

On a par ailleurs démontré qu’un traitement parodontal intensif pouvait significativement diminuer les marqueurs inflammatoires, avec comme effet à long terme une réduction de l’athérosclérose.

Chez les patient·e·s souffrant de maladies comme le diabète et le cancer, la fréquence de la parodontite est beaucoup plus élevée, avec un risque d’édentulisme multiplié par deux. Chez les diabétiques, la présence d’une maladie parodontale ou d’une perte dentaire augmente le risque de maladie cardiovasculaire de 34 %. Les assurances maladie ne couvrent généralement pas les traitements bucco-dentaires de ces personnes, parce qu’elles refusent d’admettre une causalité entre la parodontite et ces maladies.

Dans un groupe de sujets sains comparé à un groupe de patient·e·s diabétiques avec la même fréquence de consultations chez un·e dentiste et de brossage de dents, les atteintes parodontales sont plus fréquentes chez les diabétiques. On observe une perte dentaire chez 45 % du second groupe contre 18 % du premier. Cela confirme que la responsabilité individuelle n’est pas en cause lorsque d’autres maladies sous-jacentes sont présentes.

Par ailleurs, la population a des besoins nouveaux en termes de santé bucco-dentaire du fait de l’augmentation de l’espérance de vie et des maladies conjointes (cancer de la tête et du cou, immunosuppression chez les séropositifs et séropositives, traitement par des anti-hypertenseurs, anticoagulants, immunosuppresseurs, antidépresseurs qui occasionnent une sécheresse buccale et des ulcérations).

En 2010 a été publiée une étude suédoise portant sur 7674 sujets de 20 à 89 ans suivis pendant 12 ans de leur vie. Pendant la période de suivi, 629 personnes sont décédées dont 229 de maladies cardiovasculaires. Après ajustement selon l’âge, le sexe et la consommation de tabac, le nombre de dents restantes était corrélé de façon significative à la mortalité cardiovasculaire. Le risque augmentait de sept fois chez les sujets possédant moins de 10 dents en comparaison avec ceux qui en avaient plus de 25.

En 2015, la Société suisse de néphrologie relevait que chez les patient·e·s atteint·e·s d’insuffisance rénale, celles et ceux qui étaient édenté·e·s ou chez qui il manquait plusieurs dents avaient un risque de mortalité cardiovasculaire nettement plus élevé que les autres.

D’autres études démontrent une relation entre la prématurité et la charge bactérienne parodontale de la mère.

Le médecin et le médecin dentiste devraient donc prendre en compte le bénéfice du traitement parodontal pour la santé buccale des patient·e·s, traitement qui ne présente aucun risque alors qu’il apporte une réelle amélioration de la santé générale et une diminution du risque de maladies cardiovasculaires. A long terme, une assurance dentaire permettra d’améliorer la santé en général et, par conséquent, de réduire les coûts de la santé.

En Suisse, selon l’estimation de l’OCDE, les soins dentaires sont pris en charge à 91 % par les ménages, soit l’un des taux les plus hauts au niveau mondial. S’il existe aujourd’hui des mesures pour enrayer ce problème, celui-ci se manifeste surtout par une inégalité d’accès aux soins. La prise en charge actuelle des soins dentaires dans le canton de Vaud consiste principalement en mesures de dépistage et de prophylaxie pour les enfants. Une couverture en cas de maladie grave avérée est également prévue par les assurances maladies obligatoires ou complémentaires, à certaines conditions. Des prises en charges sont également prévues par les prestations complémentaires ou le RI. Enfin, certaines communes octroient des subventions aux personnes en fonction du revenu. A noter que ces prestations sont proposées de manière inégale selon les communes et les cantons. Une inégalité existe donc non seulement entre les individus selon leur situation sociale, mais aussi selon leur lieu d’habitation.

L’assurance des soins bucco-­dentaires, telle que proposée par l’initiative, permet d’unifier la prise en charge en aval et de régler en amont les questions de financement, annulant de fait les inégalités entre collectivités et entre individus. Chaque individu bénéficierait d’une couverture de soins, permettant aux communes qui le peuvent d’offrir un service financé par cette assurance, et aux autres de s’appuyer sur les médecins dentistes existant, sans incidence sur l’accès aux soins, comme c’est le cas aujourd’hui. Le système proposé permet de rétablir une égalité de traitement, évitant deux écueils regrettables : le renoncement aux soins pour les un·e·s, le recours à des traitements à l’étranger pour d’autres.

Les communes sont obligées d’organiser un dépistage scolaire (art. 49 de la Loi sur la santé publique). Le coût de ce dépistage est estimé à environ 1 600 000 francs par an pour le canton de Vaud. Ce dépistage se déroule dans des conditions variables selon les communes : matériel inadapté, suivi des dossiers individuels faisant défaut dans certains cas (seules 38 % des communes étant en mesure de le faire). En outre, le dépistage est parfois contre-productif, notamment dans les cas où il est confondu par les parents avec un contrôle dentaire, ce qui les fait renoncer à un contrôle préventif recommandé pour chaque enfant. Ainsi, les soins nécessaires sont indiqués, mais ne se réalisent pas 2. Des enfants chez qui des problèmes ont été dépistés reviennent fréquemment l’année suivante au dépistage sans avoir été soigné·e·s.

Concernant la prophylaxie, les visites de classe visant à promouvoir une éducation à la santé bucco-dentaire varient entre une et quatre fois par année, parfois uniquement dans les classes de primaire, et ne sont effectuées que dans 36 % des établissements scolaires du canton.

La prise en charge des soins bucco-dentaires par le biais de subsides communaux révèle une grande disparité entre les communes. Ces différences sont dues à la situation financière des communes, au dispositif administratif nécessaire à la mise en place d’un tel dispositif et à la vision politique des autorités. Sur 326 communes, seules 73 proposent un subside. A titre d’exemple, la ville de Renens prend à sa charge une partie des honoraires des soins dispensés dans la clinique dentaire communale, conformément à un barème dégressif qui tient compte du revenu imposable des parents pour les enfants de moins de 16 ans. L’Office dentaire de Lausanne propose également, en fonction du revenu, une participation pouvant couvrir jusqu’à 90 % des coûts.

La prise en charge des soins bucco-­dentaires par le biais de la LAMal est très rare : seuls les soins occasionnés par une maladie grave sont pris en charge. Compte tenu des progrès de la médecine, de plus en plus de personnes ont des comorbidités qui ont un impact sur la santé bucco-dentaire. Pourtant la liste des pathologies n’a pas été révisée. D’autres soins sont pris en charge par l’AI, principalement les maladies congénitales, jusqu’à l’âge de 20 ans. Au total, l’ensemble des assurances sociales ne financent que 6 % des traitements dentaires en Suisse (source : OFS, 2015).

Pour les personnes au bénéfice de prestations complémentaires AVS/AI ainsi que pour les régimes sociaux cantonaux (tels que le RI, l’EVAM ou les PC familles), les soins bucco-dentaires sont pris en charge sur la base d’un devis au-delà d’un certain montant (actuellement 500 francs).

Il existe encore des assurances complémentaires pour les soins dentaires. Toutefois, leur couverture est partielle dans la plupart des cas. Elle nécessite de plus une information précoce et une anticipation qui en privent l’accès à de nombreux ménages.

Les autres fonds permettant de couvrir des frais dentaires sont les fonds privés pour les familles ou d’autres fonds sociaux dans le canton. Pour y accéder, il faut connaître leur existence et déposer une demande motivée, chiffrée, ce qui représente une charge de travail importante sans garantie d’égalité de traitement.

Quant à la couverture des adultes, environ 10 % de la population vaudoise touche les prestations complémentaires (PC) AVS/AI ou familles, la rente-pont ou l’aide sociale, bénéficiant dans ce cadre d’un remboursement intégral des frais dentaires. Le reste de la population n’a cependant droit à aucune aide, ce qui génère fréquemment des effets de seuil : les ménages qui dépassent les barèmes d’aide assument d’un seul coup une série de charges, ce qui rend leur situation financière moins bonne finalement que celle des personnes aidées 3.

A titre de comparaison, les autres cantons proposent différents modèles de subventionnement des soins dentaires. Les communes du Valais financent les soins dentaires des enfants à hauteur de 40 % indépendamment du revenu des parents. Les communes du canton de Fribourg octroient une aide aux familles à revenu modeste pour les soins des enfants de 4 à 16 ans, avec des différences de barème selon les communes. Les soins sont prodigués par des services dentaires ou des cliniques privées. A Zurich, les personnes au bénéfice d’un subside LAMal peuvent toucher une aide, et ce canton se distingue par une prophylaxie très active. A Genève, les enfants profitent d’un subventionnement cantonal par le biais d’un barème appliqué sur la base du dossier fiscal des familles.

Révélateur d’insuffisances existant également dans d’autres cantons, une initiative similaire à celle qui sera soumise au vote des vaudoises et des vaudois le 4 mars 2018 a été déposée dans les cantons de Genève, Neuchâtel et du Valais. Une assurance dentaire en terre vaudoise permettrait donc d’ouvrir la voie.

La prise en charge des soins bucco-­dentaires en Suisse cible principalement les enfants en âge de scolarité. En plus de ne pas concerner l’ensemble de la population, elle n’est appliquée de manière inégale dans les différentes communes. Les personnes qui vivent dans des communes n’offrant pas de subventionnement, ou celles qui ont des revenus modestes, risquent de renoncer à des soins pourtant nécessaires pour le maintien d’une bonne santé tout au long de l’existence.

Le système actuel engendre une double inégalité entre communes et entre individus, ce que l’initiative propose de pallier. Une assurance universelle permettrait d’agir à la racine du problème, en permettant un accès équitable aux soins pour l’ensemble de la population.

Les soins dentaires font partie intégrante de la santé globale, mais ne sont presque jamais financés par les assurances sociales : en 2015, elles n’ont couvert que 3,9 % des prestations dentaires. Etant indispensables, ces soins sont payés par l’Etat pour les personnes au bénéfice de l’aide sociale ou des prestations complémentaires AVS/AI et familles. Ainsi, seul un dixième de la population est concerné ; pour le reste, ces soins sont entièrement à charge des patient·e·s. Les personnes qui dépassent de peu les barèmes d’aide n’arrivent pas à financer leurs traitements, et la classe moyenne se trouve confrontée à des factures imprévisibles qui mettent en péril le budget familial.

L’initiative « Pour le remboursement des soins dentaires » propose un système éprouvé : une assurance publique, financée par des cotisations paritaires entre salarié·e·s et employeurs·euses, à l’image de l’AVS et de la plupart des assurances sociales. Pour l’équivalent d’une heure de salaire mensuel, l’initiative propose un modèle juste et solidaire, qui permettra de rembourser la totalité des soins dentaires.

S’agissant du financement d’une assurance de remboursement des soins bucco-­dentaires, il faut d’abord souligner qu’une telle disposition fera baisser les coûts généraux de la santé dans le canton, même s’il est difficile de chiffrer précisément cette baisse. Le fait que les soins bucco-dentaires ne soient pas remboursés au même titre que les autres frais de santé contraint les personnes modestes soit à renoncer à certains soins, soit à tomber dans la pauvreté. Dans le premier cas, ce sont les coûts généraux de la santé qui augmentent, à la suite de complications parfois graves que peut provoquer un problème de santé bucco-dentaire qui n’est pas traité à temps, engendrant des frais supplémentaires. Dans le deuxième cas, c’est la facture de l’aide sociale qui gonfle, les plus précaires n’arrivant plus à nouer les deux bouts une fois réglée la facture du dentiste. Une assurance publique règlera ces situations absurdes et inutilement coûteuses.

Cotisations paritaires : le modèle éprouvé de l’AVS

A ce jour, le paiement des frais de santé bucco-dentaire est régi par les principes de l’individualisme et du chacun pour soi. Chacun·e y va de ses moyens, quitte à laisser certaines personnes sur le carreau. A ce système injuste et indigne d’un canton aussi riche que le nôtre, nous proposons d’instaurer un régime de solidarité mutuelle, conforme aux principes de la Constitution vaudoise.

Pour ce faire, l’initiative entend reprendre le modèle éprouvé et fiable de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS), dont la stabilité financière a déjoué les pronostics alarmistes des pouvoirs publics depuis les années 1990. Salarié·e ·s et employeurs·euses contribueront à la couverture de l’entier des frais de santé bucco-dentaire par le biais de cotisations paritaires (50 % salarié·e, 50 % employeur·euse).

Prix de la santé bucco-dentaire

Comment évaluer les coûts d’une future assurance de soins dentaires ? Les coûts annuels des soins dentaires sont connus au niveau national : 4 248 millions de francs, soit 513 francs par personne. Ce chiffre ne nous dit toutefois pas grand-chose : il comprend tous les soins et tous les tarifs pratiqués par les dentistes, alors que certains ne seraient sans doute pas couverts par une assurance universelle. De plus, ce chiffre inclut les montants financés par l’assurance maladie, accident ou invalidité, mais il néglige les soins réalisés à l’étranger. Les opposant·e·s à l’assurance dentaire objecteront que si les soins sont remboursés, les patient·e·s abuseront de ce droit et consulteront pour des soins superflus.

Les coûts risquent-ils alors d’exploser ? Les expériences existantes prouvent le contraire pour les personnes qui disposent déjà de soins dentaires intégralement remboursés (bénéficiaires de PC AVS/AI, de PC familles et du RI).

En 2015, ces personnes ont touché 22,13 millions de francs de prestations de dentistes, partagées entre 70 145 personnes, soit 315 francs par personne. Parmi ces bénéficiaires, on trouve des jeunes, des familles, des retraité·e·s : une population représentative du canton, hormis sa pauvreté. Ces personnes avaient droit au remboursement des frais compris sur une liste définie par le Canton, sur le même principe que ce que couvre une assurance sociale. On arrive donc à un chiffre proche de celui que devrait assumer une assurance de soins dentaires. N’en déplaise aux opposant·e·s, les Vaudoises et les Vaudois dont les soins dentaires sont entièrement remboursés dépensent moins que les Suisses et Suissesses en général.

1 % et on n’y pense plus

Reste la question du financement. En extrapolant à l’entier de la population (778 251 habitant·e·s à fin 2016) les frais bucco-­dentaires effectués dans le cadre des aides sociales (315.–) on obtient environ 245 millions de francs. En estimant par contre les frais à 513 francs, sur la base des statistiques suisses, on obtient enivron 399 millions de francs. Si l’on retire les bénéficiaires de l’aide sociale au nombre d’habitant·e·s du canton, les coûts varieraient selon le scénario de 223 à 363 millions. Envisageons une alternative « moyenne » d’environ 300 millions de francs. Comment régler cette facture ? Là encore les PC familles nous donnent un point de comparaison : avec une cotisation de 0,12 % partagée à égalité entre employeur·euse et employé·e, elle a récolté 35 millions en 2015.

La masse salariale du canton de Vaud est estimée en 2014 à 33,3 milliards de francs (28,3 provenant du secteur privé, 4 de l’Etat et 1 des communes). Un prélèvement de 1 % sur cette masse salariale (partagée à égalité entre employeur·euse et employé·e) permettrait d’amener 333 millions dans les caisses de l’assurance, correspondant aux coûts supputés.

A titre d’exemple, pour 25 francs par mois, un·e salarié·e touchant un salaire mensuel de 5 000 francs profiterait d’une couverture des soins dentaires incluant sa famille (enfants et parents retraités).

Le mythe des « soins de confort »

Nos opposant·e·s avancent régulièrement l’idée que des frais dentaires remboursés pousseraitent la population à profiter de « soins de confort », c’est-à-dire à consulter plus que nécessaire. C’est factuellement faux. En Allemagne par exemple, où les soins dentaires sont intégrés dans les prestations remboursées comme dans la majeure partie des pays de l’OCDE, les frais dentaires représentent 6,17 % de l’entier des frais de santé. En Suisse, ces frais s’élèvent à environ 5,5 % (source : OFS). Ainsi, il n’existe aucune raison valable de penser que les dépenses en soins dentaires exploseront une fois socialisées.

En conclusion, une assurance publique de remboursement intégral des soins dentaires serait financée de manière équitable et permettrait la couverture totale de la santé dentaire.

1 Selon le Rapport social vaudois, «les inégalités sociales dans le domaine de la santé sont frappantes» (ibid., p. 57).
2 Etude de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive.
3 Selon le Rapport social vaudois, «27,7% de la population ne dispose d’aucune fortune, et n’est ainsi pas en mesure d’assumer une charge financière imprévisible sans risque de s’endetter ou de tomber dans la pauvreté» (p.44). Selon ce même rapport, «20% ont un revenu disponible équivalent inférieur à près de 2500 francs par mois, et 10% un revenu disponible équivalant inférieur à un peu moins de 2000 francs par mois» (ibid., p. 47).