Finances communales, le nécessaire et le possible
Vevey Libre (VL) proclame sur son site « La Municipalité sous l’influence de la gauche ultra dépense sans compter » et « il faut mettre un frein aux dépenses ! » (1) . Du fait de sa représentation à la municipalité, et à un poste stratégique, VL est-il bien placé pour faire la leçon à la prétendue « gauche ultra» ? N’est-ce pas incohérent de vanter les réalisations de son municipal, tout en critiquant les dépenses qui les financent ?
À lire VL, les finances communales sont proches du gouffre. Cet alarmisme a tout à voir avec l’approche (déjà !) des prochaines élections, et peu avec la réalité. En fait, la situation des finances communale est plutôt saine, et sans commune mesure avec ce qu’on peut lire parfois sur les réseaux sociaux (2) . Un seul exemple ici : le rapport entre l’endettement et les revenus de la commune est très largement en dessous de la limite recommandée par les autorités cantonales (3) .
On pourrait également croire que les dépenses de la commune ont connu une ascension vertigineuse. En fait, si l’on prend les chiffres des comptes (réels et approuvés), les charges ont augmenté entre 2021 et 2023 de 3,91 % alors que les recettes ont augmenté de 4,55 %. Concernant les dépenses prévues au budget (et pas forcément réalisées), elles augmentent de 4,57% entre 2021 et 2024. Où est la catastrophe ?
Il faut également tenir compte de la marge d’autonomie limitée de la commune. La Municipalité et le Conseil Communal n’ont pas de pouvoir réel de décision sur une série de dépenses, qui résultent de lois cantonales ou d’accords régionaux. Ces dépenses contraintes représentent au minimum 80 % du total, mais ce taux varie d’un secteur de l’administration à l’autre. On y revient tout soudain !
Face à celleux qui attribuent la responsabilité d’une situation financière prétendument mauvaise à la « gauche ultra », il est légitime d’examiner qui dépense quoi (4), à la lumière des comptes 2023 :
– Le service qui a les charges les plus lourdes est Famille, éducation et sport (PS), avec près de 35 millions. Mais il faut considérer que les charges liées à l’éducation et à l’accueil para- et péri- scolaires (journée continue) sont légalement imposées. L’accueil préscolaire (crèches et garderies, 10.8 millions) n’est pas obligatoire, mais qui voudrait ou pourrait le supprimer aujourd’hui ?
– Le deuxième service dans ce classement est Finances (da.) avec 32 millions ; mais les factures cantonales incontournables de la « péréquation intercommunale » pèsent près de 20 millions, et les intérêts des emprunts précédemment contractés 1,4 million.
– Troisième rang, le service des Travaux publics, espaces verts et entretien (Verts libéraux) : 26 millions. Là, peu d’obligations cantonales ou contractuelles, à part le secteur voirie : il serait possible d’entretenir plus sporadiquement les parcs et jardins, ou de renouveler les égouts à un rythme plus lent, cela ne se verrait pas tout de suite, et aucune autorité cantonale ne viendrait nous mettre sérieusement à l’ordre.
– Au quatrième rang, on trouve Bâtiments, gérance et énergie (VL) avec 24,5 millions. Dans ce cas également, peu d’obligations : le Municipal, la municipalité ou le Conseil communal pourraient décider de ralentir le programme de rénovation du patrimoine immobilier, aucune autorité supérieure ne viendrait y mettre bon ordre.
– En cinquième vient le secteur de la Cohésion sociale (da.) avec 18,6 millions. Mais la facture sociale émise par le canton – et non négociable – représente 15 millions de ces 18,6.
Autre aspect à prendre en compte : les dépenses de la commune ne comprennent pas que le fonctionnement (budget / comptes annuels, environ 175 millions), mais aussi les investissements (préavis municipaux acceptés par le Conseil communal, quelque 37 millions en 2023). Il faut de plus souligner qu’un investissement entraîne souvent des dépenses de fonctionnement : une nouvelle garderie veut dire engagement de personnel, planifier et suivre la réalisation ou la rénovation d’un bâtiment demande du personnel et des compétences. Le « conseil » de VL d’économiser sur le fonctionnement pour pouvoir investir est donc largement illusoire : dans les faits, investissements et budgets ont tendance à croître parallèlement.
Comme pour le fonctionnement, il est intéressant d’examiner qui dépense quoi en matière d’investissements (5) . Dans l’ordre : Antoine Dormond (Vert-e-s) 14,5 millions (dont 11.5 millions pour l’achat de la parcelle ex-Nestlé à la rue de Fribourg) ; Pascal Molliat (VL) 12 millions, plus 4,7 millions en collaboration avec d’autres membres de la Municipalité ; Vincent Imhof (Verts Lib) 4 millions ; Laurie Willommet (PS) 1,4 million ; Yvan Luccarini (da.) 1/2 million ; Alexandra Melchior (Vert-e-s) et Gabriela Kämpf (da.) 0.
Au terme de ce rapide passage en revue des charges de la commune, une chose est claire : au total du fonctionnement et des investissements, le municipal qui gère les dépenses les plus importantes est celui de Vevey Libre, et de loin.
Qu’on soit bien clair : da. ne va pas reprocher à Pascal Molliat d’appliquer le programme de législature de la municipalité (6) . Les sept membres de la Municipalité, VL et Vert’Libéral compris, se sont mis d’accord sur ce programme. Iels trahiraient toustes leurs électrices et électeurs s’iels ne faisaient pas de leur mieux pour l’appliquer, et répondre aux besoins, actuels et futurs, de la population veveysanne.
Les budgets de ces trois dernières années n’ont pas été établis « sans compter », mais pour remplir dans la mesure du possible ces engagements pris par l’ensemble du collège municipal. Les préavis proposant des dépenses d’investissement ont, de même, été réfléchis en cohérence avec le programme de législature. Et dans tous les cas, budget et investissements ont obtenu une majorité du Conseil communal.
Un·e membre de la municipalité a une certaine autonomie, et bien plus pour ne pas agir que pour agir. Iel peut, de sa propre autorité, diminuer ses demandes budgétaires pour les années prochaines, ou ne pas dépenser tout le budget en cours ; iel peut retarder le dépôt de certains préavis, ou freiner leur réalisation. L’incohérence de Vevey Libre est donc criante :
– soit son municipal commence par appliquer de lui-même à ses propres services le « frein aux dépenses » réclamé par son parti, quitte à se désolidariser des autres membres de la municipalité ;
– soit Vevey Libre cesse de critiquer les déficits et les prétendues « dépenses sans compter », comme si les réalisations de son municipal, que Vevey libre glorifie, tombaient du ciel sans rien coûter. Ce double langage n’est pas admissible.
Il n’est évidemment pas possible de réaliser tout de suite tout ce qui serait nécessaire. Entre le nécessaire et le possible, il y a le personnel disponible et le temps de maturation des projets, les ressources financières et la nécessité de trouver des majorités politiques. C’est ce qui a été fait jusqu’à présent, et cela doit continuer.
(1) https://vevey-libre.ch/2024/07/13/les-finances-de-la-ville-de-vevey-sont-en-forte-degradation/
(2) Voir https://www.decroissance-alternatives.ch/2024/09/17/finances-communales-recentrer-la-discussion/.
(3) Endettement net: 72’684’690.39 ; revenus courants: 83’495’137.65 ; ratio 87.1 % ; ratio maximum recommandé par les autorités cantonales : 250 %.
(4) VL ne parle que des dépenses. De même, ce texte ne prend en compte que les charges, et pas les recettes, ni leurs différences. Ce serait un autre article, d’une autre taille.
(5) Pour chaque préavis d’investissement, un·e membre de la municipalité est désigné comme responsable, parce que c’est son service qui a préparé le dossier et surtout en suivra la réalisation. Parfois, un dossier complexe est attribué à plusieurs membres de la municipalité. Sur cette base, les montants des préavis ont été triés par personne responsable.
(6) https://www.vevey.ch/sites/default/files/2023-06/Programme%20l%C3%A9gislature%202021-2026.pdf D’autant plus qu’une partie de ces investissements, ceux dans les immeubles d’habitation et commerces, vont sur le long terme être sources de revenus pour la commune.