Finances communales, recentrer la discussion
Répondre à Vevey libre concernant les finances de la commune de Vevey (voir «https://www.decroissance-alternatives.ch/2024/09/17/finances-communales-le-necessaire-et-le-possible/ ») mérite quelques développements factuels. Le texte qui suit ne prétend pas à l’exhaustivité scientifique (1) . Nous pensons cependant qu’il donne quelques bases de réflexion utiles.
Une situation bien meilleure qu’il n’y paraît
En fait, contrairement aux alarmes intéressées de Vevey Libre et d’autres, la situation est plutôt saine. Le rapport entre l’endettement et les revenus de la commune est bien en dessous de la limite recommandée par les autorités cantonales (2).
La Règlement sur la comptabilité des communes oblige à sous-estimer massivement la fortune de la commune : les actions qu’elle possède (Holdigaz en particulier) doivent être comptabilisées à leur valeur nominale, alors que la valeur sur le marché est bien supérieure ; les immeubles dont la commune est propriétaire doivent être comptabilisés à leur valeur fiscale, bien inférieure à leur valeur sur le marché (3). Le découvert au bilan qui apparaît dans les comptes est donc largement théorique, et ne correspond pas à la réalité.
Le ton alarmiste employé est d’autant plus hors de propos que la municipalité n’est pas inconsciente. Elle écrit notamment, dans le préavis sur les comptes 2023 (15 avril 2024) : « Toutefois, le déficit 2023 de 4.5 millions a pour conséquence d’augmenter le découvert du bilan qui passe de 31 millions à 35.5 millions. Ce n’est qu’avec des exercices bénéficiaires que ce découvert pourra être résorbé. […] La Municipalité souhaite maintenir son objectif d’autofinancement prévu pour la législature. Ceci sans transiger sur les prestations et en prenant soin de prioriser les projets en fonction des ressources disponibles, des objectifs du programme de législature ainsi que des différentes politiques publiques mises en place depuis le début de la législature. » Le souci d’équilibre et de prudence est donc bien présent.
Argent public, aperçu des dépenses
Ce graphique met en image les montants des charges du tableau « Charges et revenus par services et bureaux» (page 159 de la brochure des comptes 2023). Il montre graphiquement l’importance des charges de chaque service et bureau. Attention : les investissements n’y figurent pas, nous y reviendrons.
Il saute aux yeux qu’il y a des grosses tranches et des petites. Mais cette évidence doit être corrigée en tenant compte du fait que le Conseil Communal n’a pas de pouvoir réel de décision sur une série de dépenses, qui résultent de lois cantonales ou d’accords régionaux. Ces « dépenses contraintes » représentent au minimum 80 % du total, mais ce taux varie d’un secteur de l’administration à l’autre (voir ci-dessous « Quelles marges de manœuvre ? »).
Comment ces dépenses ont-elles évolué ?
Le graphique suivant se base sur les brochures des budgets 2021-2022-2023 et 2024 (4).
On pourrait s’attendre à ce que la « forte dégradation des finances de la ville » annoncée par Vevey Libre se manifeste par un graphique spectaculaire, style paysage alpin. On voit bien qu’il n’en est rien : les évolutions sont modérées et diverses selon les secteurs.
Les mêmes secteurs que dans le graphique précédent ont des charges importantes, respectivement plus faibles, c’est logique (5).
Une évolution marquante est l’augmentation proportionnellement importante du budget de l’Urbanisme. C’est la conséquence d’un secteur négligé pendant des années, au point qu’on était proche d’un blocage total sur le territoire communal de tout aménagement et de toute construction, même d’utilité publique (voir l’annulation par le Tribunal fédéral du permis de construire du collège projeté à Gilamont). Il a donc fallu rattraper le retard et refaire entièrement les documents de planification (Plan directeur, Plans d’affectation) pour préparer la ville de demain. Et cela nécessite et justifie l’engagement de ressources importantes, de personnes et de compétences.
Au sein de la municipalité, qui est responsable de quelles dépenses budgétaires ?
Le graphique ci-dessous représente les mêmes données que le premier, triées non plus par service mais par municipal responsable. Les mêmes remarques concernant les dépenses « obligatoires » et celles sur lesquelles la commune a réellement prise doivent évidemment être prises en compte.
Ce graphique permet de répondre à deux questions : qui dépense quoi parmi les membres de la Municipalité ? Et les appels à un « frein aux dépenses » lancés par Vevey Libre sont-il cohérents avec la pratique de son municipal ?
Et les investissements ?
Le budget et les comptes de fonctionnement annuels ne rendent pas compte de toutes les dépenses de la commune (environ 175 millions). Il faut aussi considérer les dépenses d’investissements, autorisées par le Conseil communal sur la base de préavis municipaux, qui représentent en 2023 quelque 37 millions.
Attention, ces décisions d’investissements (comme d’ailleurs le budget) sont des autorisations de dépenser. Souvent une partie des projets ne peut pas être réalisée, ou se réalisera plus tard que prévu. Toutes les dépenses d’investissements autorisées en 2023 n’ont donc pas été dépensées entièrement en 2023 (mais certaines dépenses autorisées les années précédentes l’ont été en 2023, ce qui, en moyenne, compense).
Il faut aussi souligner que l’idée, qui peut sembler de bon sens, « moins dépenser au quotidien (budget) pour pouvoir plus investir (préavis) » est une fausse évidence. Dans bien des cas, investir nécessite d’avoir le personnel pour passer de l’idée au projet, suivre la réalisation de celui-ci et contrôler qu’il se développe comme prévu. Dans les faits, investissements et budgets ont tendance à croître parallèlement.
Le graphique ci-dessous montre les dépenses autorisées par le Conseil Communal en 2023, triées par membre de la municipalité responsable. Parfois plusieurs membres de la municipalité sont coresponsables pour un préavis, d’où la création d’une catégorie « et collaboration ». Les données sont extraites du tableau Dépenses d’investissements, pages 188 à 194 de la brochure des comptes 2023. L’ordre des membres de la municipalité est le même que celui du graphique précédent.
Quelles marges de manœuvre ?
On l’a dit plus haut, une très grande proportion des dépenses de la commune est « contrainte ». Quelques exemples :
– dans les comptes du Bureau de l’économie, du tourisme et des vignes, Montreux-Vevey Tourisme et la Promove (promotion économique) pèsent près de 700’000.– sur 2 millions de charges. Il serait possible de se retirer de ces deux organismes, mais pas à court terme. Et leurs fonctions retomberaient, au moins en partie, à la charge de la commune.
– dans les 5 millions de charges du Service de la sécurité, la facture cantonale pour les « missions générales de police » (police cantonale) pèse 1,2 million, non négociables. La participation à la police régionale ASR coûte 3,5 millions, montant qu’il est difficile d’influencer (sinon à la hausse…) ;
– dans les comptes de l’Urbanisme, la facture des transports publics (VMCV et Mobilis) représente 5,6 millions sur 8,7 millions de charges ;
– dans les comptes du Service de la Cohésion sociale, la facture sociale émise par le canton représente 15 millions sur 18 millions de charges totales ;
– sur les 32,6 millions de charges du Service des Finances, les factures cantonales de la « péréquation intercommunale » pèsent près de 20 millions, et les intérêts des emprunts précédemment contractés 1,4 million.
Il faut aussi être conscient que bien d’autres dépenses ne pourraient pas être supprimées d’un jour à l’autre (notamment les salaires), et que, politiquement, il n’est pas possible de renoncer à certaines tâches : par exemple, au sein du Service famille, éducation et sports l’accueil de la petite enfance pèse 10.8 millions, mais qui aujourd’hui prendrait la responsabilité d’y renoncer ?
Globalement, la marge de manœuvre des autorités communales est donc très limitée.
Mais il faut souligner cette marge de manœuvre diffère selon les secteurs :
Dans le service de Pascal Molliat (Bâtiments – énergie – gérances) – comme aussi dans ceux de Vincent Imhof (Économie, tourisme et vignes ; Travaux publics, espaces verts et entretien) – l’autonomie de décision communale est importante : le Conseil communal pourrait décider – et da. n’approuverait pas cette décision !! – de ralentir le programme de rénovation du patrimoine immobilier, ou entretenir plus sporadiquement les parcs et jardins, cela ne se verrait pas tout de suite, et aucune autorité cantonale ne viendrait nous mettre à l’ordre, alors qu’il est au contraire impossible de ne pas payer la facture sociale au Canton (qui par ailleurs supprime ou réduit de plus en plus de prestations ou n’ajuste pas son financement des institutions à la réalité).
Enfin, un·e membre de la municipalité à titre individuel a une certaine autonomie, et surtout pour faire moins. Un·e membre de la municipalité peut, de sa propre autorité, diminuer ses demandes budgétaires pour les années prochaines, ou ne pas dépenser tout le budget en cours ; il peut retarder le dépôt de certains préavis, ou freiner leur réalisation.
Conclusion ?
Ce document se veut avant tout informatif. Le texte « https://www.decroissance-alternatives.ch/2024/09/17/finances-communales-le-necessaire-et-le-possible/» propose quelques conclusions politiques. Mais un fait ressort ici clairement : au total du fonctionnement et des investissements, le municipal qui gère les dépenses les plus importantes, et de loin, est celui de Vevey Libre. À méditer.
Références
(1) Les finances communales sont un sujet compliqué, à propos duquel il est difficile de se faire comprendre sans être schématique. Nous avons essayé de l’être aussi peu que possible.
(2) Endettement net: 72’684’690.39 ; revenus courants: 83’495’137.65 ; ratio 87.1 % ; ratio maximum recommandé par les autorités cantonales : 250 %.
(3) Le patrimoine immobilier de la commune figure au bilan de la commune pour 113 millions. Son revenu net est de l’ordre de 10 millions. Cela équivaut au revenu d’un capital de quelque 270 millions, soit plus du double.
(4) Il s’agit des budgets tels que soumis au Conseil communal, sans les modifications que celui-ci y a apportées. Mais celles-ci n’ont changé que peu de choses, et n’ont pas d’impact significatif sur les courbes d’évolution.
(5) Ce graphique se base sur les budgets et comprend celui de 2024, le précédent se base sur les comptes de 2023. Il est donc normal que les chiffres diffèrent.
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