Le Conseil d’Etat impose-t-il une réforme qui fragilise les écoles spécialisées?
Cette interpellation fait suite à trois questions orales récemment déposées sur la question de la mise en œuvre d’une nouvelle convention d’allocation des ressources pour l’enseignement spécialisé dont les réponses du Conseiller d’Etat M. Borloz nous ont déconcertés.
Premièrement, en réponse à la question orale d’Hadrien Buclin (1), M. le Conseiller d’Etat Borloz a déclaré qu’à sa connaissance, aucune institution n’avait refusé de signer la convention. Or, au moment de cette question orale (mai 2025), plusieurs retours de terrain nous relayaient que 9 institutions sur 18 refusaient encore de la signer ou envisageaient des avenants. Il semble qu’aujourd’hui encore, plusieurs institutions n’ont pas signé cette convention.
Deuxièmement, en réponse à la question orale de Joëlle Minacci (2), le Conseiller d’Etat Borloz a décrit que le processus de mise en œuvre de cette nouvelle convention d’allocation des ressources a fait l’objet d’une collaboration étroite avec les acteurs concernés. Or, là aussi, les retours de terrain font écho d’un processus quasi unilatéral de la part de la DGEO qui a créé de fortes tensions à cause du manque de consensus sur les critères d’octroi des ressources, l’absence d’un espace de négociation autour de cette convention ainsi que des impacts massifs sur certaines institutions. Ceci est d’autant plus regrettable que la volonté initiale du Département d’harmoniser l’allocation des ressources semble être un objectif partagé par l’ensemble des institutions. Et ceci interroge également au regard de la Loi sur la pédagogie spécialisée qui spécifie que le Conseil d’Etat “définit la politique générale de pédagogie spécialisée en s’appuyant sur les commissions de référence” (art. 6, al.2).
Selon différents retours des terrains, il apparaît qu’historiquement, le modèle de convention a été imaginé par l’actuel Directeur général de l’enseignement obligatoire, quand il était Directeur général de la Fondation de Verdeil et membre actif du Bureau de la pédagogie spécialisée de l’AVOP, en collaboration avec M. Miguel Maneira. Ce modèle avait été massivement rejeté par les membres de l’AVOP. Aucun représentant des familles, encore moins de la communauté scientifique ou des représentant·e·s des profesionnel·le·s n’ont été consultés quant à la pertinence du modèle en termes de réponses aux besoins des élèves et de pertinence des critères.
Ces acteurs n’ont, semble-t-il, pas non plus été inclus dans la construction et la mise en œuvre de cette convention depuis qu’elle est pilotée par M. Cédric Blanc, désormais est aux commandes de la DGEO, soit depuis le 1 juillet 2023. Le-dit modèle a été présenté et imposé lors de séances organisées par la DGEO, aux côtés du secrétaire général de l’AVOP M. Olivier Salamin et du président du bureau de la pédagogie spécialisée M. Alban Resin, aux directions des écoles spécialisées. Il est reproché à la DGEO de ne pas tenir compte (ou très peu) des remarques ou demandes d’ajustements d’allocation des ressources pourtant toutes argumentées et documentées. La DGEO n’a à aucun moment consulté officiellement, en laissant des traces documentées, les représentants des familles, les représentant·e·s des professionnel·le·s ou la communauté scientifique. Il n’y a pas eu non plus de phase test sur une ou deux institutions.
Si la situation du Foyer, médiatisée durant le printemps, a mis en lumière les tensions qu’a produites ce nouveau système d’allocation des ressources et les conventions qui en découlent, il faut aussi souligner que plusieurs institutions ont réalisé elles-mêmes des évaluations pour que les ressources allouées répondent aux besoins sécuritaires des élèves et collaborateurs. Les différences entre les évaluations de la DGEO et celles des institutions sont significatives et se comptent parfois en plusieurs postes de travail qui ne sont pas accordés. Plusieurs institutions qui argumentent à la faveur de plus de ressources, en fonction des besoins des élèves pour garantir leur sécurité, se posent la question de la responsabilité en cas d’accident, puisqu’elles ne peuvent légalement pas refuser les élèves qui leurs sont attribués. Certaines émettent des réserves ou des avenants à la Convention, en termes de responsabilités. Pourtant, il semblerait qu’elles aient essuyé une non-entrée en matière de la part de la DGEO. Ceci interroge en regard du devoir de l’Etat de garantir une qualité d’accueil des enfants, selon la Loi sur la pédagogie spécialisée mais aussi selon la Convention des droits de l’enfant en matière de sécurité, de prise en compte des besoins spécifiques ou encore de droit à une éducation adaptée.
Au vu de ces différents retours de terrain dont l’écart avec les réponses de M. le Conseiller d’Etat M. Borloz sont manifestes, il nous paraît nécessaire de poser au Conseil d’Etat des questions afin de clarifier cette situation. Des questions qui invitent, en filigrane, le Département, à construire ses réformes en étroite collaboration avec les acteurs de terrain pour proposer des solutions qui permettent d’atteindre les objectifs du Département tout en garantissant un cadre de ressources adapté à la bonne prise en charge des personnes accueillies dans les écoles spécialisées (car les enfants sont les premiers concernés), y compris celles qui y travaillent.
J’ai donc l’honneur de poser au Conseil d’Etat les questions suivantes:
- Où se trouvent les documents à disposition du citoyen sur lesquels s’appuient la conception du nouveau modèle d’allocation des ressources pour l’enseignement spécialisé, le nouveau modèle retenu et la définition des critères d’allocation des ressources, ainsi que les procédés d’évaluation externes envisagés ?
- Il semble que la Convention s’appuie sur des critères pour l’heure relativement opaques pour les institutions et s’inspire de ceux édictés par Integras, datant de 2008, et critiqués comme obsolètes au vu de l’évolution des situations d’enfants accueillies et des pratiques professionnelles. Par ailleurs Integras les avait qualifiés de critères minimaux alors que la Convention les définit désormais comme maximaux. Le Conseil d’Etat peut-il détailler avec précision les critères de cette convention et sur quoi ils s’appuient
- Quelles ont été les modalités de consultations documentées à la conception du modèle et avant son déploiement ?
- Comment la DGEO se positionne-t-elle au sujet des questions de responsabilités légales soulevées par certaines institutions?
- Quelle est la teneur des propositions et demandes d’ajustement faites par certaines institutions au sujet de la Convention?
- Le Conseil d’Etat compte-il tenir compte des retours des institutions pour faire évoluer cette convention, dans un esprit collaboratif, afin qu’elle puisse répondre aux objectifs visés initialement (harmoniser l’allocation des ressources entre les institutions) tout en préservant les conditions d’accueil et de travail?
- Pour la clarté et la différenciation des missions de surveillance, d’octroi des ressources et de décision, nous constatons une concentration de tous les pouvoirs au sein de la DGEO. Le Conseil d’Etat envisage-t-il de revoir cette organisation afin d’éviter cette concentration?
(1) https://www.vd.ch/gc/depute-e-s/detail-objet/objet/25_HQU_53/membre/280212
(2) https://www.vd.ch/gc/depute-e-s/detail-objet/objet/25_HQU_74/membre/624915