Esprit de Contre Addiction
Vevey est confrontée depuis quelques années à un sérieux problème de commerce illégal de drogues dans l’espace public. En tant que mouvement politique représenté au Grand Conseil, au Conseil communal et à la Municipalité de Vevey, décroissance alternatives (da.) partage les inquiétudes de la population et son aspiration à se sentir en sécurité dans l’espace public. Nous souhaitons, comme une grande majorité de la population, endiguer le trafic de drogue et limiter les conséquences sociales et sanitaires des addictions, mais nous affirmons que la question doit être considérée dans toute sa complexité pour être traitée de façon efficace, juste et humaine.
Nous soutenons donc l’approche de la Municipalité qui met en place une action coordonnée impliquant les acteurices des domaines socio-sanitaires et les forces de l’ordre dans la logique de la politique fédérale des quatre piliers.1 Partant du constat que l’application de la Loi fédérale sur les stupéfiants incombe essentiellement aux autorités cantonales et fédérales, la Municipalité a su se donner les moyens d’identifier les mesures qui relèvent de la compétence de ses services, sans faire de fausses promesses qui dépasseraient son champ d’action. Dans un contexte d’augmentation du trafic de stupéfiants dans le secteur de la gare, elle agit sur le plan social et soutient l’action des polices régionale et cantonale qui ont toutes deux renforcé leurs présences.
Vu la complexité du problème, aucune mesure ne permettra de le « résoudre » à court terme. Dans l’immédiat, et dans les limites des compétences communales et régionales, notre groupe défend les actions suivantes :
- poursuivre et renforcer les mesures existantes mettant en œuvre la politique fédérale des quatre piliers ;
- améliorer la coordination entre toutes les institutions qui interviennent sur le terrain: prévention, social, sanitaire, et sécuritaire ;
- créer un local de consommation surveillée et médicalisée pour lutter contre les dangers liés à la consommation et les problèmes de santé publique qui en découlent ;
- développer des actions visant à limiter l’extension des activités liées au deal, et à assurer la protection des personnes plus vulnérables dans leurs déplacements ;
- accroître les actions de prévention pour diminuer la consommation de stupéfiants ;
- trouver une façon d’offrir une porte de sortie aux dealers qui voudraient cesser cette activité.
La question du deal
Une situation qui s’aggrave
À Vevey comme ailleurs, la vente et la consommation de drogues, en particulier sous la forme de crack, croît fortement et pose de graves problèmes de santé publique.2 Cette évolution est à l’image d’une société de plus en plus anxiogène et qui offre de moins en moins d’espoir en l’avenir. La lutte pour un autre modèle de société fait partie intégrante de la réponse à ces problèmes d’addiction.
Mafias et finance
La politique de répression des drogues telle qu’elle est pratiquée a pour effet pervers de servir les structures mafieuses qui dominent leur production et leur commercialisation sans régulation ni contrôle. Ces mafias en viennent à dominer des régions entières, voire des pays. Les gigantesques bénéfices du trafic sont blanchis, notamment à l’aide du système bancaire suisse, et sont réinvestis dans l’économie légale, aboutissant au contrôle de secteurs entiers. Le deal de rue concentre le ressentiment et le sentiment d’insécurité de la population, alors que c’est l’ensemble de ce système qu’il faut condamner.
Reprise de contrôle
Nous sommes favorables à une dépénalisation contrôlée des drogues, qui puisse contrer l’emprise et l’implantation des mafias et permettre une meilleure prévention et un contrôle sur la qualité des produits. Nous soutenons aussi une révision radicale des lois sur les étrangers et sur l’asile afin de lutter contre l’exploitation par ces réseaux mafieux de personnes précaires à qui l’actuelle politique migratoire suisse ne donne aucune perspective d’avenir. Mais de tels changements seraient de la compétence des autorités fédérales, et leurs majorités de droite s’opposent depuis des décennies à une refonte de leur politique.
Qu’attendre des autorités cantonales ?
Le Conseil d’État a affirmé en septembre 2021 vouloir développer plus avant la stratégie des quatre piliers, et plus spécifiquement les dimensions préventives, thérapeutiques, et la réduction des risques. Le volet répressif étant déjà disproportionnellement mis en avant, le Conseil d’État a rappelé la nécessité de traiter le problème de manière transversale.3
De manière régulière cette année, Elodie Lopez, députée da. de la Riviera et membre du groupe Ensemble à Gauche et POP au Grand Conseil, a interpellé le Conseil d’État pour lui demander si le canton comptait venir en aide aux communes et si des mesures socio-sanitaires allaient être mises en place.4 Le 3 septembre, elle a également posé une question orale sur l’anticipation de l’explosion de la consommation de crack dans le canton, afin que les autorités territoriales et autres instances concernées soient prêtes et outillées pour y faire face.5
Puis, suite à la lettre des municipalités de Lausanne, Vevey et Yverdon6, Elodie Lopez a relancé le Conseil d’État le 1er octobre7, en soulignant l’urgence de la situation. Il a affirmé avoir invité les communes concernées à une rencontre, appuyant la nécessité d’une meilleure coordination, et a déjà impliqué le médecin cantonal afin d’identifier les besoins avec les associations de terrain (l’ARAS et AACTS). Le plan cantonal datant de 20218 sera également révisé afin de mieux correspondre à la situation actuelle. Au vu de l’évolution préoccupante de la situation et les enjeux, la coordination entre communes concernées et le Canton est ainsi établie. Cette fluidité, qui est toujours restée de mise dans les cantons suisse-alémaniques restés confrontés à la problématique de la drogue les 30 dernières années, est à nouveau un besoin accru en Suisse romande où la problématique était moins visible.
La situation veveysanne
Il ne faut pas oublier qu’une très grande partie du commerce de drogue se passe de façon plus discrète, en milieux privés et festifs, souvent entre personnes bien intégrées et « respectables ». Les revendeurs que l’on croise dans la rue, mais qui sont aussi mobilisés dans les sphères privées, sont les « petites mains » de réseaux internationaux de production et de commercialisation des drogues. La répression qui les vise n’affecte pas ces réseaux, qui ne peuvent être atteints que par des actions aux niveaux cantonal, concernant les saisies de drogues et fédéral ou international concernant les enquêtes sur les réseaux.
Outre les milliers de personnes qui transitent par les transports publics, la géographie particulière de Vevey fait de la gare un passage presque obligé pour toute personne qui habite la commune ou s’y déplace. C’est pourquoi la présence de ces revendeurs de drogue est extrêmement visible et génère un climat tendu et un sentiment d’insécurité pour une large part de la population. Il faut toutefois souligner que les statistiques ne montrent pas d’augmentation des infractions violentes à Vevey durant les quinze dernières années.
Le mécontentement est légitime, pas le racisme
La population est directement confrontée au deal de rue et à son occupation visible de l’espace public. Elle est peu concernée par le trafic en appartement, sauf quand les communs d’immeubles deviennent des lieux de consommation ou de confrontation entre vendeurs. Elle peut très bien ne rien percevoir de la production, de la transformation, du transport des drogues, et encore moins des flux financiers que génère le trafic. Il est compréhensible que les polémiques actuelles se polarisent sur le deal de rue, mais elles passent largement à côté de l’essentiel du problème des drogues et de leur trafic, et des vrais responsables, qui sont hors de portée des autorités communales, régionales, et même cantonales.
Le fait que les dealers de rue, actuellement en Suisse romande, sont quasi-exclusivement des ressortissants africains, découle d’une dynamique systémique liée à des rapports de domination, influencée notamment par la politique migratoire et la situation socio-économique et politique dans les pays producteurs. Cette situation alimente un racisme de plus en plus virulent, que nous condamnons absolument.
L’inaction passée et les « y a qu’à » d’aujourd’hui
Prompts à la critique, les partis de droite semblent oublier que toutes les « opérations coup de poing » menées jusqu’ici ont mis en veille ou au mieux déplacé le problème du deal de rue, sans jamais le résoudre, à l’exemple de celle menée en 2016 à l’avenue Général-Guisan qui a abouti à l’actuelle situation de la gare. « Nettoyer » la gare – comme certain·es le souhaitent – reviendrait à voir le trafic s’installer ailleurs. Mais à quel endroit serait-il plus acceptable ?
Pourquoi les personnes représentant l’actuelle opposition de la droite locale n’ont-elles pas mis en œuvre leurs miraculeuses recettes au moment où leurs partis étaient en charge de ces responsabilités municipales ?9 Si leurs « solutions » étaient les bonnes, elles auraient résolu le problème et pourraient aujourd’hui en tirer une légitime fierté. Au lieu de cela, elles ont laissé pourrir la situation et attendu que d’autres s’emparent du problème, afin de pouvoir confortablement critiquer le travail en cours, tant il est vrai que cela est infiniment plus facile et médiatiquement payant qu’une réelle confrontation aux difficultés.
Agir dans les limites communales et régionales
Quels sont les moyens d’action des collectivités locale et régionale ?
- Les institutions de prévention et de santé : elles agissent sur les consommateurices, pour éviter que ces problèmes de santé publique – qui ne dépendent pas que du deal – ne dégénèrent. Le travail de prévention, réduction des risques et thérapie est financé et piloté par le Canton qui délègue des missions spécifiques à des associations et fondations, malheureusement avec des financements bien inférieurs aux besoins. Les communes interviennent de manière subsidiaire ou spécifique via l’Association Régionale d’Action Sociale (ARAS). À ce titre, Vevey a l’avantage d’héberger des fondations et associations actives et compétentes aux côtés des personnes en situation d’addictions.
- La police intercommunale : elle n’est pas compétente en matière de stupéfiants, mais peut apporter une présence qui rassure une partie de la population et inquiète les client·es. En collaboration étroite avec la police cantonale, elle peut gêner le trafic et en limiter l’expansion.
- Le service de la Cohésion sociale : grâce à son travail de terrain et son large réseau socio-sanitaire, il apporte une observation, un suivi et une compréhension aux autorités. Avec ses différentes activités, le service est présent auprès de toutes les populations, mais aussi sur le terrain et au niveau politique dans les instances de coordination du secteur social et d’accès aux soins. Il peut renforcer les actions visant à pacifier l’espace public, et à prévenir les violences et les interpellations insistantes dans la rue, ainsi que proposer de la médiation autour de cette problématique. Ce service a dû s’emparer d’un dossier complexe, sous une forte pression politique, dans une situation globale déjà bien dégradée et nous saluons son travail, tout comme celui de toutes les personnes investies au quotidien sur le terrain dans les différents domaines de la politique des quatre piliers.
Références
- Qui correspondent à : prévention, thérapie, réduction des risques et répression (voir: https://www.bag.admin.ch/bag/fr/home/strategie-und-politik/politische-auftraege-und-aktionsplaene/drogenpolitik/vier-saeulen-politik.html).
- Voir notamment le « Rapport mondial sur les drogues 2024 » publié par l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, https://www.unodc.org/documents/data-and-analysis/WDR_2024/2411140F.pdf ; ainsi que le « Rapport européen sur les drogues 2024 » publié par l’EUDA (European Union Drugs Agency), https://www.euda.europa.eu/sites/default/files/pdf/31882_fr.pdf?449550.
- Rapport du Conseil d’État au postulat Axel Marion et consorts – Lutte contre le « deal »: Maintenant c’est le temps de l’action! ; pp. 35-36 et 46 ; https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/accueil/fichiers_pdf/EMPD-EMPL/EMPL_deal_de_rue.pdf.
- https://www.vd.ch/gc/depute-e-s/detail-objet/objet/24_INT_53/membre/612412
- https://www.vd.ch/gc/depute-e-s/detail-objet/objet/24_HQU_103/membre/612412
- https://www.vevey.ch/actualites/lausanne-vevey-et-yverdon-les-bains-unies-contre-le-deal-de-rue
- https://www.vd.ch/gc/depute-e-s/detail-objet/objet/24_HQU_110/membre/612412
- Voir « Plan d’action en matière de consommation et de trafic de drogues », pp. 16-20, https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/accueil/fichiers_pdf/EMPD-EMPL/EMPL_deal_de_rue.pdf.
- Solutions miracles qui n’en sont pas vraiment, comme le disait lui-même le Municipal PLR Étienne Rivier au sujet des caméras: « Le ratio coûts/efficacité que pourraient engendrer de telles installations plaide également en défaveur de ce procédé » (Rapport-preavis n° 38/2016).