Buffet express de Vevey: dépossession capitale

L’annonce de la fermeture du Buffet Express de la gare de Vevey a suscité une immense émotion chez beaucoup d’habitandes de notre ville, mais également bien plus loin à la ronde. Cette émotion, cette colère aussi, témoignent de l’importance qu’a ce lieu pour les gens.

Nul besoin d’avoir fait une thèse en économie politique pour comprendre ce qui se joue là, de manière très simple et très transparente : le froid calcul des intérêts et du «paiement au comptant» exige dans sa logique même qu’un propriétaire – fut-il un organe en main publique comme CFF-Immobilier – puisse obtenir le taux de rendement le plus haut possible. Partout en Suisse, cette exigence de rentabilité fait des ravages, transformant les gares en centres commerciaux, fermant les buffets de gare traditionnels et posant sur les friches ferroviaires d’énormes projets immobiliers, Vevey en sait quelque chose depuis le projet «Cour aux marchandises».

Pas assez rentables, les quidams qui prennent leurs ballons de rouge ou de blanc et sont ici chez eux.

Pas assez rentables, les travailleurs et travailleuses qui se retrouvent en habit de chantier aux premières heures du matin, à la pause de midi, ou après le boulot.

Pas assez rentable, ce bistrot qui n’a pas de pierres apparentes, ne paie pas de mine, n’est pas «hype», ne se la «pète» pas avec une carte bobo-compatible et qui est simplement là.

Pas assez rentable ce bistrot où tout le monde est bienvenu, dont la clientèle populaire et souvent peu argentée mélange les cultures, les origines et les âges.

Pas assez rentables, le patron et les serveuses qui passent des heures à échanger, discuter, soutenir ou écouter d’autres humains, d’ici ou d’ailleurs, qui n’ont pas forcément beaucoup d’autres liens sociaux.

La liste pourrait encore s’étendre, longtemps, et on ne saurait coucher sur le papier l’ensemble des plus-values sociales qu’un tel lieu offre à la population de Vevey et aux voyageurs de passage.

Comment chiffrer le lien social ? Comment évaluer financièrement le fait que les gens se rencontrent et se parlent, d’où qu’ils et elles viennent ? Quel prix donner au fait qu’un tel bistrot c’est un ilot au centre de la ville pour des gens simples et modestes qui vont dès lors être chassés et se voir dépossédés d’un lieu central ?

Les gens qui fréquentent ce bistrot, qui s’y donnent rendez-vous, qui ont appris à apprécier les minutes d’attente en sirotant un café et en lisant le journal le savent bien : certaines choses ne peuvent être quantifiées financièrement. CFF-Immobilier, comme tout gros propriétaire en système capitaliste, se moque bien de ces considérations-là. Ce n’est pas l’utilité sociale de ses possessions qui l’intéresse, mais la rentabilité maximale de ses mètres carrés.

En tant qu’entreprise publique, l’utilité sociale devrait être au centre des considérations des CFF, y compris de son département immobilier. Mais, dans un État politiquement contrôlé par les forces bourgeoises, les propriétés foncières des CFF doivent fournir un rendement maximal pour abaisser les coût d’un système de transports au service de l’économie.