La sécurité, un bien commun

Dans le cadre des élections communales, il apparaît important pour décroissance-alternatives de se positionner par rapport à une question qui fait débat et qui interpelle une partie de la population : celle du sentiment de sécurité dans la ville. Pour ce faire, il convient en premier lieu de définir ce que sont l’insécurité et le sentiment d’insécurité, de s’appuyer notamment sur les chiffres à disposition et d’en tirer une analyse politique et des propositions concrètes. Celles-ci apparaîtront en gras dans ce texte.

Concernant l’insécurité, la définition du dictionnaire Larousse permet de mieux appréhender le débat :

  1. État d’un lieu qui n’est pas sûr, qui est soumis à la délinquance ou à la criminalité (…).
  2. Sentiment de vivre dans un environnement physique ou social favorisant les atteintes aux personnes et aux biens.
  3. État de quelque chose qui est instable, précaire : l’insécurité de l’emploi. 

Cette définition met en évidence des éléments qui nous paraissent essentiels ; d’une part il y a une distinction à faire entre ce qui est « objectivement » mesurable (délinquance et criminalité) et ce qui relève de sentiments subjectifs, qu’il faut évidemment prendre en compte. D’autre part, l’insécurité ne concerne pas uniquement le fait d’être victime d’une infraction, mais renvoie également à une insécurité sociale (pauvreté, chômage, isolement, racisme, homophobie, etc.) qui pèse lourdement sur une partie importante de la population. Nous abordons ces deux aspects dans les lignes qui suivent.

Les chiffres pour Vevey : apports et limites

Il faut toujours être prudent par rapport aux chiffres relatifs au nombre d’infractions commises sur un territoire donné. Ils ne mettent souvent en perspective que celles qui ont été dénoncées et sous-estiment celles qui ont été effectivement commises. D’autre part, ces chiffres peuvent fluctuer en fonction des mesures effectivement prises par la police, de la capacité des victimes à porter plainte, du type de délit pour lequel on porte plainte ou de facteurs socio-économiques.  Parfois, des chiffres qui grimpent sont paradoxalement une « bonne » nouvelle : ainsi l’augmentation du nombre de «voies de fait» peut signifier qu’il y a davantage de plaintes enregistrées et non que le phénomène est réellement en augmentation!

Quoi qu’il en soit, et tout en gardant un regard critique sur les chiffres que nous présentons ici, ils témoignent d’un fait incontestable : le nombre d’infractions au Code Pénal à Vevey a littéralement fondu au cours des dix dernières années.

En observant les graphiques, la baisse générale est de 31 % par rapport à 2010 et même de près de 55 % par rapport au pic de 2012. Concernant les délits spécifiques, on constate (toujours par rapport à 2010) une baisse de 35 % des vols, de 55 % des dommages à la propriété sans vol, de 59 % des dommages à la propriété avec vol, de 59 % des violations de domiciles. Concernant la violence physique, on peut constater que les cas « graves » (rixe, agressions, lésions corporelles graves) sont stables (lésion corporelles graves : entre 0 et 3 cas par année ; lésions corporelles simples : entre 19 et 35 cas par année ; rixe et agression : entre 0 et 6 cas par année). Seules les voies de fait (violence n’entraînant pas d’atteinte à la santé) sont en augmentation (+40%), ce qui dans le cas d’espèce pourrait peut-être s’expliquer par le fait que les personnes victimes de ce type d’infraction portent plus souvent plainte qu’auparavant. De la même manière, l’augmentation importante du nombre d’infractions concernant la loi sur les stupéfiants (Lstup) peut très certainement être interprétée comme étant le résultat d’une répression accrue concernant l’usage, mais surtout la possession (+ 324 %) et le trafic (+ 60%).

Pour résumer, et si on s’en tient aux chiffres exprimés ci-dessus, la ville de Vevey est à bien des égards beaucoup plus « sûre » qu’il y a quelques années.

Dimension genrée de l’insécurité

Comme nous l’avons déjà mentionné, les statistiques présentées ci-dessus ont des limites ;  une part plus ou moins importante des infractions effectivement commises échappe à ces chiffres. À titre d’exemple, une étude vient de démontrer qu’en Suisse seules 8 % des femmes victimes de violences sexuelles portent plainte.  Les chiffres dont nous disposons passent également sous silence la dimension genrée de la criminalité : en Suisse, 85% des condamnations pénales concernent… des hommes! Par ailleurs, d’un point de vue géographique, il convient de souligner que la majorité des crimes vraiment dangereux, voire mortels,  sont commis dans l’espace privé ou au sein même du cercle familial (homicides et violences conjugales) et non dans la rue.

Le culte d’une société patriarcale, la diffusion de publicités reléguant la femme à l’état d’objet et valorisant l’homme riche et brillant, combinés à une éducation qui reste trop souvent genrée ont pour effet que les femmes et personnes LGBTQIA+  ne peuvent pas construire une identité personnelle et sociale qui leur permet de se sentir en sécurité dans leur quotidien et favorise ou, pire encore, justifie la discrimination et les actes de violences à leur encontre. En Suisse, 74,7 % des victimes d’homicides sont d’ailleurs des femmes et des filles.

Il s’agit aussi de tenir compte des insultes et remarques désobligeantes, du taux de suicide au sein de la communauté LGBTQIA+, généralement intimement lié au sentiment de rejet et aux discriminations, aux violences conjugales, à l’inégalité face au monde du travail.

Nous proposons donc de renforcer concrètement les possibilités et les moyens pour les femmes victimes de violences sexuelles d’être entendues, écoutées, et de pouvoir avoir accès à des conseils juridiques. 

Supprimer la publicité de l’espace public, renommer les rues,  créer une place du 14 juin, supprimer toutes les inégalités au sein des services communaux, mettre en place de la médiation et de la sensibilisation autour des questions de genre, tant dans les écoles que dans l’espace public rappellerait qu’il n’y a pas de domination patriarcale qui puisse être soutenue et aiderait à améliorer le sentiment de sécurité et de cohésion sociale auprès de tous les membres de notre communauté veveysanne.

Le deal de rue : un problème créé et exploité par la droite

Concernant la question du deal à la gare de Vevey et dans ses environs, plusieurs observations s’imposent. Premièrement, les compétences de la ville en la matière sont limitées. Ce trafic est en effet, selon nous, la résultante de décisions fédérales prises sous l’influence notamment de l’UDC et du PLR et qui échappent au périmètre d’action de la ville ou de l’ASR.

Nous considérons que la première question à se poser est celle du « pourquoi » ? Pourquoi des hommes, qui ont fui leur pays, et qui ne rêvaient en aucun cas d’être exploités pour vendre de la drogue à Vevey, passent-ils leurs journées à la gare ou à proximité, du matin au soir ? L’explication réside dans l’application d’une politique d’asile raciste qui produit de la misère humaine, misère humaine qui est ensuite facilement exploitée par des réseaux criminels. Nous l’affirmons ici avec force : l’UDC et le PLR ont pesé de tout leur poids pour créer artificiellement des conditions de vie inhumaines pour les requérandes d’asiles et les requérandes d’asile déboutëes. La droite veveysanne ne peut pas se dédouaner de ses responsabilités, puisqu’à sa modeste échelle elle valide ces politiques !

Il nous paraît également bien facile de focaliser toute l’attention sur les vendeurs, alors que s’ils sont présents à cet endroit là, c’est bien qu’il y a une demande bien locale !. Nous soulignons également que les politiques de répression n’ont jamais montré d’efficacité quant à la consommation de drogues. décroissance-alternatives se positionne d’ailleurs pour la légalisation contrôlée et intelligente de toutes les drogues, notamment parce que la répression, loin d’offrir une solution pour diminuer la consommation, contribue au contraire à accentuer les processus de précarisation des personnes. Il va de soi qu’une légalisation entraînerait de facto l’arrêt complet de toute forme de trafic de rue. Mais une nouvelle fois, comme dans le cas des politiques d’asile inhumaine et raciste, cette option n’est pas de la compétence de la ville de Vevey ou d’ASR. Par contre, une nouvelle fois le PLR et l’UDC, sections veveysannes comprises, ont toutes leurs responsabilités dans ces politiques, et nous n’aurons de cesse de les contrer avec qui nous soutiendra, au niveau cantonal et au niveau fédéral.

En tout état de cause, la présence de vendeurs à la gare et dans ses environs suscite un sentiment d’insécurité chez certaines personnes. Il faut souligner que cette présence ne débouche tout simplement pas sur des agressions ou des atteintes à l’intégrité physique des personnes. ASR a par ailleurs mis en place un dispositif de présence renforcée notamment à la gare de Vevey depuis 2017, aboutissant à 2100 heures de présence annuelle sur le terrain et à des opérations plus massives. La descente de police effectuée le jeudi 11 mars dernier en témoigne.  Autrement dit : le dispositif répressif existe, et il est conséquent.

Il n’en demeure pas moins que, malgré une présence conséquente d’ASR, le sentiment d’insécurité ressenti par certaines personnes doit évidemment être pris en compte sérieusement. Un dispositif répressif important étant déjà en place, les solutions de fonds échappant aux compétences communales (asile, précarité, légalisation), il nous paraît important d’axer les ressources sur une approche humaniste et sociale de la question. Bien entendu, nous dénonçons toute forme de violence, militons pour le respect de chaque personne et déplorons les incivilités. Mais nous croyons aussi que la sécurité, comme l’insécurité, est une affaire collective qui ne se limite pas aux faits quantifiés dans les rapports de police. Dès lors, la mise en place d’une stratégie établie de concert avec les travailleureuses sociales de la ville, l’EVAM, les associations, ASR, les commissions municipales concernées, dont celle pour l’égalité, nous paraît cruciale. Cette idée avait déjà été évoquée il y a plus de 15 ans au conseil communal de Vevey ! C’est exactement ce que pratiquent les villes de Berne et de Zürich, et ce qui a été recommandé dans un rapport sur le deal de rue lausannois rendu en 2019. Pour cela il faudra évidemment dégager un projet concret et un budget. Nous mettons donc la droite et le centre au défi : s’ils prennent au sérieux la question du sentiment d’insécurité à Vevey, alors il faut que ces partis soutiennent des demandes de crédits, notamment afin de pallier les conséquences désastreuses de leurs prises de position aux niveaux cantonal et fédéral.

Nous rappelons ici nos propositions :

Instituer, comme annoncé par la municipalité, un groupe de travail réunissant des personnes actives dans la prévention des addictions, l’intégration, de l’espace public, le travail social, la police. Il devrait permettre d’aborder la problématique de façon plus globale et dans une approche durable, tout en rappelant la complexité du phénomène, et mettre en place les mesures de transition nécessaires à un avenir serein pour le plus grand nombre de personnes ;

Aller à la rencontre de la population, organiser des activités relatives à la vie en société sur l’espace public et les communiquer largement. Sensibiliser aux enjeux d’oppression, dialoguer, connaître les craintes et observer les comportements ;

Soutenir, notamment par la formation interne, le travail de la police régionale, dans son rôle de médiatrice au sein de l’espace public et dans l’amélioration de la prise en charge des victimes de violences.

Élargir la question de la sécurité

La droite et le centre ne s’intéressent à la sécurité que dans son aspect lié à la criminalité et à la délinquance. Pour nous, la question de la sécurité est beaucoup plus large. Elle couvre également la sécurité dans les déplacements, la sécurité économique, la sécurité sociale.

Concernant la sécurité économique, un nombre important de Veveysammes font l’expérience concrète de la précarité. En 2019, 8.9 % de la population représentant 1769 personnes devaient recourir à l’aide sociale pour vivre. Working poors, salaires insuffisants, augmentations des loyers, familles monoparentales, retraitëes… Non, la sécurité ne se résume décidément pas à des statistiques du code pénal, et l’insécurité économique est très certainement ce qui impacte le plus les Veveysammes! À ce titre, nous voulons améliorer l’accueil par l’administration communale des personnes en détresse, simplifier autant que possible les procédures et traduire les formulaires et informations, utiliser un langage simplifié et inclusif, informer systématiquement et automatiquement les bénéficiaires habitant la commune des prestations qui leur sont dues, attribuer automatiquement les prestations communales (aide au logement, subventions pour soins dentaires, aide communale veveysanne, fonds de secours, etc.) aux personnes qui y ont droit et renforcer le soutien aux nombreuses associations actives dans ce domaine.

Enfin, et toutes les études produites sur l’insécurité le montrent, c’est l’amélioration du lien social qui permet à chacume de se sentir plus en sécurité, chez soi, dans la rue et intérieurement. La société capitaliste produit littéralement de l’individualisme, du chacun pour soi, de l’anonymat. C’est en créant des espaces de liens sociaux (maisons de quartier, espaces de rencontre entre migrandes et population locale, travail de rue de proximité, etc.) que les membres plus fragiles de notre société (pour des raisons de genre, de nationalité, d’origine, d’âge ou de revenu) pourront à nouveau se sentir plus en sécurité dans tous les domaines.  Ce que l’on peut aussi résumer par ces mots, issus de notre programme :

“La ville est ce que nous avons en commun, l’espace qui nous lie. Et ce qui nous permet de nous organiser pour vivre ensemble dans cet espace, de manière harmonieuse et pérenne, c’est la politique. Durant le confinement, nous avons réalisé la valeur des relations humaines et de la solidarité. Le projet de décroissance s’inscrit dans ce registre. Il consiste à créer ensemble un avenir désirable. Pour ce faire, il promeut les liens sociaux, fait du vivre-ensemble une priorité et aspire à ce que chaque personne trouve sa place dans la société. Il défend la quête d’un bonheur collectif, qui est plus que la somme des bonheurs individuels. Et il valorise les biens communs, car ceux-ci favorisent la coopération et la responsabilité sociale et environnementale.”

voir aussi notre article : se déplacer en sécurité