Nestlé, Vevey et le bon vieux temps

24 heures de jeudi 8 mars 2018 met sur la table les projets immobiliers de Nestlé à Vevey – bloqués pour l’instant – et à La Tour-de-Peilz – mis à l’enquête publique.

Indépendamment du traitement à réserver à ces projets – le minimum étant de les ramener à des proportions plus raisonnables et à tenir compte des besoins de la population – apparaît un problème politique. Yves Christen et Pierre Chiffelle, les ex-duettistes à la Municipalité de Vevey et au Conseil national, se retrouvent d’accord pour regretter le bon vieux temps où la direction d’Helmut Maucher admettait de simples citoyens veveysans au club de tennis de Nestlé et comprenait l’importance du lien avec les collectivités locales. ll est certainement exact de dire, comme le fait un anonyme «politicien de la Riviera» que Nestlé veut devenir plus profitable et se soucie moins de son image de marque.

Cela n’en reste pas moins des considérations étroitement localistes, égoïstes. Comme un habitant dans la rue de résidence du chef de la mafia locale, qui se plaindrait que la mafia n’est plus ce qu’elle était: jusqu’alors on était tranquille dans le quartier, et voilà maintenant qu’ils rackettent l’épicerie du coin de la rue !

Nestlé, du temps de M. Maucher, comme aujourd’hui, défendait ses intérêts par tous les moyens nécessaires, y compris sur le plan politique. M. Maucher était actif à l’échelle nationale suisse et internationale pour promouvoir le néolibéralisme. Sous son règne, l’exploitation des salarié·e·s et des paysan·ne·s – dans le Tiers-Monde mais pas que – n’était pas moindre qu’aujourd’hui.

Ce qui change, c’est que, dans sa stratégie globale, la direction actuelle de Nestlé réévalue froidement à la baisse la valeur du soutien de la population suisse et régionale, et considère qu’il n’est plus nécessaire de «l’acheter» aussi cher qu’avant. Ce changement est-il radical ou seulement partiel ? temporaire ou définitif ? l’avenir le dira. Mais ce qui est certain, c’est qu’on n’amadouera pas Nestlé par des ronds de jambes et des bonnes paroles lors des traditionnelles rencontres entre la direction et les autorités locales.

En 1992, Vevey avait voulu s’attirer les bonnes grâces de Nestlé en nommant M. Maucher bourgeois d’honneur. Il est ironique que le tournant politique de Nestlé coïncide avec son décès, et que la Municipalité reste fidèle à cette «lèche» en publiant un avis de décès exprimant sa tristesse. Il est plus douteux qu’elle le fasse en associant à son deuil le personnel communal, à qui on n’a, évidemment, pas demandé son avis.

Pièces d’archive: position de nos prédécesseurs Les Verts solidaires, en 1992.

M. Helmut Maucher bourgeois d’honneur de Vevey …

Plus ou moins régulièrement, la pluie tombait sur les champs de nos ancêtres. Conscients que c’était un élément décisif pour leur survie, ils avaient coutume d’offrir des sacrifices ou des offrandes propitiatoires à leurs dieux, au singulier ou au pluriel, avec ou sans majuscule, pour que le miracle se renouvelle.

De même: chaque année, sauf exception sujette à rattrapage, les impôts de la société Nestlé tombent dans la caisse communale, ainsi qu’occasionnellement des dons, parfois fort à propos. La Municipalité semble vouloir s’attirer la bienveillance de ce nouveau dieu en offrant la bourgeoisie d’honneur de Vevey à l’un de ses dirigeants.

Et pourquoi à M. Maucher, Président et administrateur-délégué, et pas au directeur financier, qui scrute les taux d’imposition ? ou au directeur du marketing, qui suppute les avantages de l’image suisse et lémanique ?

En fait, tant qu’à honorer, Vevey devrait honorer les employés de Nestlé, ici, et dans le monde. Car enfin, les 2 milliards 272 millions de bénéfice déclaré, ou les 2 milliards 510 millions calculés par la banque Pictet — ne chipotons pas sur les millions —, dont proviennent impôts et dons, M. Maucher ne les a pas gagné tout seul dans son bureau !

Dans le même ordre d’idée: la Municipalité organise, dans le cadre de l’inauguration du Théâtre rénové, un concert dédié à M. Maucher. Et pourquoi pas le dédier à la société et à son personnel ? Celui-ci a-t-il même été invité, en signe de reconnaissance ? en effet c’est bien lui, involontairement certes, qui a donné 4 millions pour cette rénovation.

Politiquement enfin, M. Maucher est signataire, aux côtés d’autres poids lourds de l’économie suisse, d’un « Programme pour un ordre plus libéral », programme que nous n’avons nulle envie d’honorer, puisqu’il prône, entre autres, des privatisations, l’ouverture prolongée des magasins, et le travail de nuit des femmes. Ce qui prouve, en passant, que pour certains il n’est nul besoin de se soumettre à une longue procédure pour être admis à donner son avis sur la manière dont la Suisse devrait être gouvernée.

C’est ainsi que nous ne nous sommes pas joints au choeur des acclamations, par lesquelles le Conseil Communal [lors de sa séance du 14 mai 1992] a approuvé la proposition de la Municipalité de Vevey.

22 mai 1992.
Les Verts Solidaires