Bien vivre à Vevey: ne pas prendre le problème par le mauvais bout
Dans un texte paru sur la page Vevey Agora, Pierre Chiffelle — qu’il n’est plus besoin de présenter et qui défend la candidature d’Yvan Luccarini à la municipalité de Vevey — soutient que dans nos propositions nous laissons de côté un point crucial: selon lui, pour maintenir la qualité de vie à Vevey, il faut absolument que la population de la ville ne croisse pas, ou très peu, au-dessus du niveau actuel. Dans ce but, il propose que les Plans d’affectation en cours de discussion limitent les surfaces constructibles et donc le nombre d’appartements mis sur le marché. Nous lui répondons que nous ne sommes pas d’accord et expliquons pourquoi.
En matière d’écologie, il est tentant de prendre la population comme variable à contrôler: il est évidemment plus facile de comptabiliser des personnes et de faire de leur nombre un sujet d’inquiétude pour la population que de mesurer des parties pour mille de gaz inodores et invisibles et de faire comprendre leur importance. C’est ce qu’a fait en 2012 l’initiative de l’association EcoPop intitulée «Halte à la surpopulation – Oui à la préservation durable des ressources naturelles», qui fut rejetée par 74% de la population malgré le soutien de l’ASIN (Action pour une Suisse indépendante et neutre) et de Franz Weber.
Pierre Chiffelle propose d’utiliser les plans d’affectation pour limiter les surfaces constructibles, et par là le nombre d’appartements mis à disposition. Selon la loi de l’offre et de la demande, qui continue malheureusement à régir l’essentiel du marché du logement, moins d’offre pour une demande croissante, c’est la pénurie et la hausse des loyers garanties. Et tant que la région continuera à proposer des places de travail à des conditions meilleures que la moyenne (européenne, voire mondiale), la demande de logements pour des personnes venant des pays voisins ou de plus loin, continuera de croître. Le premier résultat de cette proposition serait donc un approfondissement de la crise du logement.
La décroissance juste et solidaire que nous voulons doit certes équilibrer ressources, production, consommation et population dans des espaces en bonne partie autosuffisants à l’échelle humaine. Mais d’ici que cela se réalise, les femmes et les hommes continueront à chercher des conditions de vie meilleures, en fonction de leurs intérêts et besoins, quand ce n’est pas sous la contrainte.
Or les causes de migration internationale ne vont pas diminuer, bien au contraire: après les réfugié·es pour cause de persécutions et de guerre, on voit poindre les réfugié·es climatiques, fuyant leurs habitats submergés ou rendus inhabitables par la croissance des températures. Pour se protéger de l’augmentation de la population, une «forteresse Vevey» dépendrait inévitablement de «l’efficacité» de la «Forteresse Suisse» avec ses renvois Schengen, et de celle de la «Forteresse Europe» avec ses assassinats en Méditerranée, au Sahara ou sur les îles grecques. Ce n’est évidemment pas une perspective acceptable, ni pour Pierre Chiffelle ni pour nous.
Finalement, la proposition de Pierre Chiffelle n’est pas aussi simple à mettre en œuvre qu’il semble le croire: les outils de planification communaux (Plan directeur et Plans d’affectation) sont soumis à l’approbation des autorités cantonales et doivent être conformes au Plan directeur cantonal. Or celui-ci prévoit une augmentation de la population du canton et un renforcement des centres urbains. Autant dire que des Plans d’aménagement prévoyant le blocage ou peu s’en faut de la population veveysanne à son état actuel seraient renvoyés à la commune sans discussion.
Alors quoi? Tout va bien et da. prône le laissez-faire en matière de construction? Pas du tout. Nous sommes simplement persuadés que le bien-vivre d’une ville ne dépend pas mécaniquement de sa densité.
Quand Pierre Chiffelle écrit que «les infrastructures sont saturées» et cite la circulation et les crèches comme exemple, on doit lui donner raison.
Mais si la voiture occupe plus de la moitié de l’espace public, c’est le résultat d’une politique passée. Une autre politique, amorcée avec le Plan directeur des circulations, basée sur des parkings périphériques, le renforcement des transports en commun et le soutien à la mobilité douce, peut à la fois désengorger les rues et rendre l’espace public à la population.
Et si les structures d’accueil de la petite enfance ne répondent pas aux besoins, c’est le résultat d’une politique qui, ces dernières années, n’a proposé de nouvelles crèches et garderies que comme alibi à de mauvais projets d’urbanisation (Rivage, Savoie, Cour aux marchandises), et a même réussi à fermer récemment la structure des Petits Pois. Il est possible de répondre aux besoins d’une population en augmentation en développant de nouvelles structures d’accueil, comme nous le proposons.
On peut, on doit même, tenir le même type de raisonnement concernant les espaces verts, les places publiques, les locaux scolaires, les lieux de culture, de sports et autres lieux de loisirs et de rencontres.
Les villes, jusqu’à une certaine taille évidemment, sont bien moins gaspilleuses d’énergie qu’un habitat dispersé, et paradoxalement sont plus favorables aux circuits courts. N’oublions pas non plus le rôle dans toute l’histoire des villes comme foyer de culture, de sciences et généralement d’idées nouvelles. Même si une agriculture respectueuse de la biosphère emploiera plus de personnes que l’agriculture intensive et industrielle d’aujourd’hui, cela ne va pas vider les centres urbains: pendant que les villages et bourgades de nos campagnes accueilleront cette croissance du nombre de travailleuses et travailleurs de la terre, leurs actuels habitant·e·s reviendront en ville, pour réduire les besoins de mobilité.
A notre avis, une densification heureuse et sobre est possible, si l’aménagement urbain est conçu dans ce but, s’il prévoit des infrastructures de tous ordres, des espaces publics, des rues comme lieu de vie. C’est ce qui est en discussion dans le cadre de l’élaboration des Plans d’aménagements de la ville de Vevey, secteur par secteur. C’est pour cela que nous nous engageons, notamment dans la Commission d’aménagement du territoire et bientôt à la municipalité, si vous le voulez.
Note:
Pierre Chiffelle écrit que «Les travaux en vue de l’élaboration d’un nouveau plan sont en cours, sans que les citoyens de Vevey n’aient pour l’instant reçu la moindre information à ce sujet ou aient été consultés».
Cette reproche n’est pas justifié. L’élaboration de la première étape du Plan directeur (Concept directeur) a fait appel à la participation de la population (voir https://demain.vevey.ch/planification/revision-du-plan-directeur-communal-pdcom/). Les moyens engagés n’étaient pas illimités, la réponse de la population n’a pas toujours été à la hauteur de l’enjeu, certes, mais cela a existé et des associations représentantes de la société civile ont participé à ces travaux. Cette étape participative, nous pouvons en témoigner, n’était pas considérée par les organisateurs (Direction de l’urbanisme et bureau mandaté) comme un fardeau, mais comme une étape importante et utile à l’élaboration du projet. Ces efforts de participation avant la consultation finale obligatoire sont sans commune mesure avec ceux accomplis lors de l’élaboration du précédent plan directeur dans les années 1994-1997.
Le texte original publié par Pierre Chiffelle
Mon soutien officiel à la candidature d’Yvan Luccarini à l’élection complémentaire du 21 juin reste sans réserve. Cela n’empêche cependant pas le simple citoyen que je suis de demander des éclaircissements sur un point absolument crucial qui est passé sous silence dans le programme de DA, même dans le chapitre «Choisir ensemble le vi(ll)e».
L’année qui vient et le début de la législature seront marquées par l’événement politique le plus fondamental que notre ville aura connu depuis plus de 60 ans. En effet, son PGA, Plan général d’affectation (qui règle les possibilités de construction sur l’ensemble du territoire communal) atteint l’âge canonique de 68 ans. Les travaux en vue de l’élaboration d’un nouveau plan sont en cours, sans que les citoyens de Vevey n’aient pour l’instant reçu la moindre information à ce sujet ou aient été consultés.
Or après Genève, Vevey connaît la plus grande densité d’habitants au km2 de Suisse. Son territoire est en effet extrêmement restreint. Nous avons aujourd’hui franchi le cap des 20’000 habitants. Selon mon opinion, aller plus loin ferait perdre définitivement à cette ville magnifique la qualité de vie dont elle peut se prévaloir. En effet, 8’400 habitants / km2 est une limite que nous n’avons pas le loisir de franchir si nous voulons ne pas perdre notre âme. Les infrastructures collectives sont en effet saturées ( cf. p.ex. circulation, crèches, etc.). Le quartier de Plan-Dessus est particulièrement concerné dans le quadrant de planification dont il doit faire l’objet. Ainsi, en 2018, Nestlé (qui souhaite, une fois de plus, vendre deux très importantes parcelles dont elle propriétaire) y envisageait la construction de 43’340 m2 de surface de plancher brut, ce qui représenterait environ 600 appartements supplémentaires. Cela correspond à un indice d’utilisation du sol (IUS) de 3,75. En comparaison, le PPA « Cour aux marchandises », pourtant refusé en votation populaire, ne prévoyait qu’un IUS de 2,37.
Ainsi, il est parfaitement possible de prendre aujourd’hui des engagements politiques garantissant que l’IUS – particulièrement en ce qui concerne le quartier de Plan-Dessus – sera fixé de telle manière que le nombre de nouveaux logements supplémentaires à réaliser ne pourra pas dépasser 250 au maximum sur tout le territoire de la commune, ce qui garantirait de limiter à 500 – 800 personnes ce qui devrait être la dernière augmentation du nombre d’habitants.
Vu son nom, Décroissance-Alternatives ne devrait guère avoir de problème à prendre des engagements dans ce sens, voire même mieux, en annonçant sa volonté de contribuer aux décisions nécessaires en matière d’aménagement du territoire pour que la population veveysane n’augmente plus.
Je me réjouis d’avance de sa prise de position.