Aux membres du Conseil communal de Vevey

Affronter la crise sanitaire – surtout si elle doit durer – avec les instruments de la démocratie

Selon la presse dominicale alémanique, la lutte contre l’épidémie est loin d’être terminée et les mesures pas près d’être levées: «L’état de nécessité décrété en raison de la pandémie due au coronavirus devrait être prolongé au-delà du 19 avril, affirme la NZZ am Sonntag, qui tient des informations de la séance du Conseil fédéral. Un assouplissement progressif des mesures pourrait tout au plus être envisagé après cette date, selon le journal zurichois. L’évolution de la situation la plus probable est que la pandémie ne sera pas suffisamment contenue d’ici là, pronostiquent pour leur part les services de secours de Zurich dans un bulletin confidentiel, que s’est procuré le SonntagsBlick. Les mesures devraient donc être renforcées et “massivement étendues” au-delà des vacances d’été, précise le document» (https://www.24heures.ch/24896815).

C’est donc une erreur de croire que dans quelques semaines, tout va redémarrer comme avant. La crise va durer quelques mois, et il n’est pas sain de la gérer uniquement avec des mesures d’urgence et les pleins pouvoirs aux exécutifs. C’est pourquoi nous nous devons de manifester ici notre profond désaccord avec la lettre que le Président du Conseil communal a adressée par internet à toustes les habitant·es de Vevey, ainsi que par courrier postal aux «plus de 65 ans», aussi bonnes que puissent être ses intentions.

Une part importante de cette lettre est consacrée à essayer de démontrer que les conseillères et les conseillers communaux n’ont rien de mieux à faire que de se reposer sur «notre exécutif», et bien entendu sur notre président qui gère. Le paradoxe, c’est que cette missive soit adressée à toute la population qui ne sait probablement pas trop que faire de ces informations!

Notre président prétend «qu’au niveau politique, aucun sujet impératif ne nécessite à ce jour un rassemblement des Conseillers communaux pour une prise de décision». En fait, ce n’est pas exact, puisque, comme il l’écrivait lui-même, il y a un sujet urgent qui demande une décision, le renouvellement de l’infrastructure informatique de la ville. Le Conseil d’État sous la signature de la ministre PLR a envoyé aux communes des instructions extrêmement précises pour des cas de ce genre, qui prévoient des séances de commission, par téléconférence si nécessaire, et un vote par correspondance des membres du Conseil communal. Une autre possibilité existe pour débloquer ces crédits, par le biais de la délégation de compétences du Conseil communal à la municipalité en cas d’urgence, mais elle implique également la participation de la Commission des finances et du Conseil communal.

Il décrète également que «les principales Commissions n’ont pas à se réunir dans l’immédiat». Là il outrepasse clairement ses compétences, puisque notre Règlement précise à l’article 35 que «Le·la président·e du Conseil ne peut donner d’instructions aux commissions».

Il nous exhorte à «ranger nos différends qui ont rythmé la vie veveysanne». Mais ces différends, qui ont fait autant pour la renommée de Vevey que la Fête des Vignerons, sont étrangement le fait de l’exécutif… auquel il nous demande de faire confiance.

Il nous engage à «parler d’une seule voix pour donner confiance et sérénité à notre Exécutif afin de garantir la bonne gestion de cette crise. Il en va de la responsabilité de tout élu». Mais sans réunion d’aucune sorte, comment le Conseil communal s’exprimerait-il? N’est-ce pas contradictoire?

Enfin, il nous rappelle que «nous avons l’avantage de vivre dans une démocratie, dans laquelle les décisions prises par des miliciens permettent à notre société de fonctionner». Nous ne pouvons qu’applaudir… sauf que les milicien·nes, ce ne sont pas les membres de l’exécutif, professionnels à 60% ou 80%, mais bien les conseillères et les conseillers communaux. En les empêchant de participer aux décisions, ne va-t-on pas justement empêcher notre société de fonctionner?

On voit bien qu’en fait, au contraire de son affirmation que son devoir est «d’assurer la bonne marche de notre Assemblée législative», ce qu’il propose, probablement en accord avec la municipalité, aboutit à mettre durablement notre assemblée délibérative en panne. Mais pourquoi?

D’où vient cette idée que moins l’exécutif a de comptes à rendre, moins il reçoit d’impulsions du Conseil communal et à travers lui de la population, mieux c’est?

Il n’est pas exact qu’en temps de crise toutes les décisions s’imposent comme des évidences. Beaucoup restent des choix politiques. Exemple évident: comme le montrent les revendications opposées des syndicats et d’EconomieSuisse, choisir entre sauvegarde maximale de la santé de la population et maintien maximal de l’activité économique est une immense question politique, avec comme conséquence potentielle des milliers de morts en plus ou en moins. A une échelle communale, les enjeux sont moins dramatiques; mais pas moins politiques: la décision de fermer ou pas les parcs, différente d’une commune à l’autre, n’a-t-elle pas des fondements politiques?

Nous pensons qu’il n’est pas sain pour la démocratie de laisser les exécutifs se débrouiller durablement tout seuls. De nombreux parlementaires fédéraux, qui se préparent à tenir une séance extraordinaire des Chambres fédérales sont d’ailleurs du même avis: «Il s’agit pour le Parlement de jouer son rôle de contre-pouvoir: approuver les décisions prises par le gouvernement, exercer son devoir de haute surveillance et proposer d’éventuelles autres mesures» (Isabelle Moret, présidente du Conseil national, PLR/VD, 24 heures 26.03.2020); «La population attend des parlementaires qu’elle a élus qu’ils remplissent leur rôle. Il en va de la stabilité des institutions. Il est aussi de notre rôle de soutenir le Conseil fédéral durant cette période». (Christian Lüscher, conseiller national PLR/GE, 24 heures, 26.03.2020); «La démocratie et l’état de droit ne doivent pas être victimes du coronavirus. […] L’Assemblée fédérale ne doit en aucun cas renoncer à l’obligation constitutionnelle de surveiller le Conseil fédéral.» (Hans Stöckli, PS/BE, président du Conseil des États, 24 heures, 28.03.2020). Toutes proportions gardées, pourquoi ce qui s’applique à la Berne fédérale ne s’appliquerait pas à Vevey? Voir aussi «Ouvrir et refermer la parenthèse autoritaire» (Jérôme Cachin, 24 heures, 27.03.2020)

C’est pourquoi nous nous adressons une nouvelle fois aux groupes et partis politiques veveysans et au bureau du Conseil communal avec les propositions suivantes pour maintenir ou rétablir, dans le respect des mesures de confinement décidées par la Confédération et le Canton de Vaud, les fonctions fondamentales du Conseil communal et des commissions, notamment par la tenue de séances en vidéoconférence. Par ordre de priorité:

  • constituer un bureau élargi aux présidents de groupes comme organe de communication et de concertation permanent entre la Municipalité de Vevey et les différents groupes politiques, selon le modèle en vigueur entre le Grand Conseil et le Conseil d’Etat;
  • mettre sur pied en urgence, avec l’appui de la municipalité si nécessaire, des solutions digitales pour que la Commission de gestion puisse remplir correctement et dans des délais raisonnables sa mission de contrôle de l’exécutif. Dans l’immédiat, l’absence de séance «physique» ne doit pas être un prétexte pour ne pas remettre à la commission les documents qu’elle a demandés ou pourrait demander;
  • mettre sur pied en urgence, avec l’appui de la municipalité si nécessaire, des solutions digitales pour que la Commission des finances puisse remplir sa tâche, et notamment se prononcer dans les délais habituels sur les demandes de crédit supplémentaires déposées par la municipalité. Il faut éviter que la municipalité puisse, sans contrôle ni même information, multiplier les dépenses extraordinaires et que le Conseil communal se retrouve le jour venu, face à un préavis de régularisation d’un montant total non moins extraordinaire qu’il ne pourrait plus qu’approuver;
  • d’instituer «l’interpellation digitale» comme moyen pour les membres du Conseil communal d’interroger la municipalité, avec évidemment communication de la réponse à toustes les membres dudit Conseil communal.

Nous sommes convaincu·es que dans le cas d’une urgence comme celle-ci, et d’autant plus si elle devait durer, la participation des divers échelons institutionnels et évidemment l’information du «corps politique» communal est possible et même nécessaire. Nous espérons que vous partagez cette opinion, et que vous soutiendrez tout ou partie des mesures que nous proposons.