Une bombe contre le Conseil d’Etat vaudois et la municipalité de Vevey: la CDAP réintègre Michel Agnant et Jérôme Christen dans leur fonction

Ce mardi 8 octobre, la Cour de droit administratif et public du Tribunal cantonal (CDAP) a annulé la décision du Conseil d’Etat du 26 juin 2019 qui prolongeait la suspension de Michel Agnant et Jérôme Christen jusqu’au 31 décembre 2019. Cette décision, du fait qu’elle est négative, ne semble pas susceptible d’un recours au Tribunal fédéral. La suspension est ainsi nulle et non avenue, avec effet immédiat. En toute bonne logique, les deux municipaux doivent reprendre sur le champ leur fonction et leurs tâches, et siéger lors du conseil communal, ce jeudi 10 octobre, à la table de la municipalité…

Pour parvenir à cette conclusion, la CDAP pulvérise les arguments invoqués par Conseil d’État dans sa décision du 26 juin (voir ci-dessous des extraits commentés des décisions du Conseil d’Etat et de la CDAP). Notamment, la CDAP considère, comme nous l’avons toujours affirmé depuis le début de cette triste saga, que l’essentiel dans l’article 139b de la Loi sur les communes, c’est la notion de confiance des citoyens («En présence de motifs graves […] le Conseil d’État, peut suspendre un ou plusieurs membres de la municipalité […] Constituent des motifs graves toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas la continuation du mandat pour lequel le ou les membres de la municipalité ou du Conseil général ou communal ont été élus ou sont de nature à compromettre la confiance ou l’autorité qu’impliquent leurs fonctions»). Puis cet article cite des exemples de fait qui peuvent justifier une telle perte de confiance, dont l’ouverture d’une instruction pénale; mais il n’y a pas de lien automatique entre une telle enquête et la suspension, contrairement à ce qu’ont affirmé nombre de partis veveysans, la majorité municipale et le Conseil d’État.

L’obstination de la conseillère d’État Béatrice Métraux à couvrir sa collègue de parti, Elina Leimgruber, expose ainsi le Conseil d’État à un cinglant désaveu. On imagine que plusieurs de ses membres regrettent aujourd’hui de ne pas s’être un peu plus intéressé à ce dossier.

En ce qui concerne la municipalité de Vevey, c’est une «sacrée claque» pour sa «majorité». Le retour de Michel Agnant et Jérôme Christen à leur poste en tant que tel ne règle évidemment rien ! Des décisions ont été prises, certains dossiers ont avancé ou n’ont pas avancé; devront-ils, pourront-ils assumer ce qui a été fait, ou pas fait, sans eux, surtout durant les trois mois et demi où ils étaient illégitimement suspendus, comme vient de le dire la CDAP?

Le récent audit mandaté par le Conseil d’État recommandait : «Quel que soit le scénario retenu, l’accueil, le cas échéant, des municipaux suspendus doit être organisé et formalisé et ne devrait pas être laissé au hasard ou à leur bonne volonté». La prise de position de la majorité municipale sur cet audit n’y fait pas allusion. Ce n’est pas de bon augure.

Extraits commentés:

Conseil d’État: la simple existence d’une procédure pénale suffit pour prononcer une suspension:
«Il n’appartient pas au Conseil d’État d’apprécier à ce stade la gravité des faits retenus […] ni leur qualification pénale.
Seul compte le fait qu’une ordonnance pénale pourrait être rendue […]».

CDAP: l’important dans l’article 139b, c’est la notion de confiance de la population. N’importe quelle procédure pénale ne suffit pas pour prononcer une suspension.
Dans un arrêt précédent (GE.2018.0148 du 5 décembre 2018), «la CDAP a exposé, sous l’angle de la proportionnalité, que toute procédure pénale n’était pas propre  à justifier une suspension « en particulier lorsqu’il s’agit d’un délit mineur qui aurait été commis uniquement par négligence et non pas par préméditation et qui n’aurait en outre aucun lien avec la fonction ou la confiance accordée à ta fonction de conseiller municipal”». 

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Conseil d’État: la fin de l’enquête n’a rien changé
«On doit considérer que les motifs ayant justifié sa suspension prévalent encore aujourd’hui.
Rien ne permet d’affirmer qu’un retour aux affaires […] soit plus envisageable à ce jour qu’au moment de la suspension, […].
Au surplus, aucun motif objectif ne justifie de lever la suspension prononcée il y a six mois, la situation étant toujours la même que celle ayant prévalu à la première décision».

CDAP: les faits retenus par le procureur au terme de son enquête ne justifient plus une suspension
«A ce stade, il n’est plus question – comme c’était le cas au moment de la première décision de suspension, en décembre 2018 – de communication d’autres informations à un cercle plus large d’intéressés ni de transmission à la presse. D’après la décision attaquée, il faut tenir compte de l’atteinte que porte l’enquête pénale à «la confiance et à l’autorité dont [un municipal] doit jouir en tant qu’élu». Or, vu les faits retenus dans l’acte d’accusation et vu l’argumentation que le recourant affirme vouloir présenter au juge pénal – à savoir qu’il ne lui était pas interdit de communiquer les renseignements et documents litigieux aux personnes concernées, vu leurs fonctions et professions respectives -, on ne peut pas d’emblée considérer que les citoyens veveysans, ou à tout le moins les électeurs du recourant, ont pour la plupart perdu à cause de cette affaire la confiance qu’ils avaient mise en lui».

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Conseil d’Etat: le bon fonctionnement actuel prime sur la démocratie
«La municipalité s’est aujourd’hui réorganisée avec l’apport de deux membres ad hoc désignés par le Conseil d’État.
Elle semble avoir ainsi retrouvé une certaine sérénité.
Au surplus, elle est actuellement confrontée à plusieurs dossiers d’envergure, dont le déroulement prochain de la Fête des Vignerons.
Il importe donc dans ces circonstances qu’elle puisse bénéficier de toute la sérénité et la stabilité nécessaires.
La fin de la suspension risquerait de nuire à cette stabilité, ne serait-ce que parce qu’elle engendrerait inévitablement une nouvelle réorganisation d’importance, dans une période particulièrement peu propice».

CDAP: le respect de la volonté populaire manifestée par l’élection à la municipalité prime sur le bon fonctionnement
«En outre, si le Conseil d’État estime que l’exécutif communal fonctionne actuellement bien sans le recourant ni son collègue suspendu, mais avec l’apport de deux membres ad hoc désignés par lui, ce n’est pas un motif pour renoncer à appliquer le principe de la proportionnalité, en tenant compte de l’intérêt public à ce que les personnes élues à la municipalité puissent effectivement siéger au sein de cette autorité».
«A l’évidence, il existe d’autres situations où  une suspension de longue durée – de plus de six mois – est disproportionnée parce qu’elle n’accorde pas l’importance suffisante à l’intérêt public […] à ce que les membres de l’autorité élus par les citoyens puissent accomplir leur mandat pendant la durée de la législature; cet intérêt public rejoint l’intérêt de l’élu lui-même, qui peut invoquer la garantie des droits politiques, à savoir le droit d’être élu ou d’éligibilité […] qui implique le droit d’exercer la fonction politique pour laquelle on a été élu par le peuple».