Non à l'interdiction de la mendicité

Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les membres de la commission,

En vertu de l’article 35 du Règlement du Conseil intercommunal Sécurité Riviera [permettant à tout membre du conseil intercommunal de donner par écrit son avis à une commission dont il n'est pas membre] , je me permets de vous faire parvenir les remarques suivantes, en espérant que vous en tiendrez compte.

Elles concernent l’article 78 [«Il est interdit à toute personne de s’adonner à la mendicité, de même que de charger de mendier des mineurs ou des personnes placées sous son autorité. »] du projet de règlement général de police que vous allez étudier ce mardi 6 octobre. A mon avis, la tempérance et le bon sens préconisent de renoncer à cet article.

Le premier argument en faveur de la suppression de l’article 78 concerne l’applicabilité d’une telle réglementation. J’abonde ainsi dans le sens d’une remarque formulée par le chef du Département de l’intérieur vaudois Philippe Leuba qui a combattu au niveau cantonal l’interdiction de la mendicité: «En cas d’interdiction, faut-il mettre à l’amende des mendiants qui n’ont, par définition, pas beaucoup d’argent ? S’ils ne paient pas, faut-il les envoyer en prison ?» (cité par 24 heures du 18 septembre). Ainsi cette réglementation, si elle devait être appliquée et conduire à l’incarcération d’individus, occasionnerait non seulement des situations grotesques mais également des coûts importants pour la collectivité, sans compter qu’elle punirait des individus déjà en difficulté.

Le second argument est un argument de principe. Au nom de quels principes peut-on prononcer des peines contre des mendiants qui ne font que mendier ? Cette question, au demeurant, fut soulevée au 17e siècle déjà par l’archevêque d’Aix, Boisgelin de Cucé, lors d’un débat en France portant sur la nécessité même d’une loi visant à interdire la mendicité, loi qui ne verra finalement pas le jour. Sa réflexion me paraît encore d’actualité lorsqu’il dit: «S’il existe un acte libre, c’est celui de demander l’aumône, puisqu’il n’a d’autre effet qu’un refus libre.». Il poursuit: «On dit que ceux qui suivent cette profession finissent toujours par troubler la société. Quel droit avez-vous sur eux quand ils ne l’ont point troublée ? Vous punissez non ce que [le mendiant] a fait, mais ce qu’il peut faire, non ce que sa malice vous fait souffrir, mais ce que [votre] ignorance même [de ce qu’il est] vous donne à craindre».

Certains voient ainsi dans la mendicité une source d’insécurité,inquiétude dès lors invoquée pour justifier cette demande d’interdiction. Cependant, le commandant Michel Francey lui-même constate que «la plupart du temps, la cohabitation avec les badauds se passe sans encombres» (24 heures, 24 septembre 2009). Quant à «la gêne que les mendiants susciteraient chez les passants» évoquée par la police, elle me paraît être irrecevable pour justifier une orientation répressive de la mendicité. La cohabitation d’individus génère par essence de nombreuses occasions de «gêne». Cette notion subjective ne saurait ainsi justifier une réglementation répressive, sous peine d’offrir un laissez-passer à toutes sortes de dérives.

Par ailleurs, comme Philippe Leuba le rappelle dans l’article cité plus haut, «la mendicité organisée par des réseaux est déjà punissable et condamnable». De fait, l’article 23 de la Loi pénale vaudoise réprime déjà l’exploitation de mineurs pour la mendicité.

La situation actuelle n’est donc en aucun cas alarmante. C’est pourquoi nous vous invitons à ne pas céder au sensationnalisme ambiant et à réfléchir aux conséquences multiples qu’entraînerait l’approbation d’une telle réglementation. Faut-il encore souligner ici que le meilleur moyen d’endiguer la mendicité est de lutter contre la misère. S’attaquer aux effets – ici à des individus déjà en difficulté – ne réglera en aucun cas la cause du problème.

Eric Studer
Membre du Conseil intercommunal Sécurité Riviera

La même argumentation, résumée, est parue sous forme de lettre de lecteur dans 24 heures du 9 octobre 2009

Retour à l'accueil
Haut de page